L’affaire des homards de l’Assemblée nationale (les repas trop chers du président de l’époque, François de Rugy) m’ont amenée, par rebonds successifs, à lire « Vivre ensemble » d’Emilie Frèche (Stock 2018). Ce « vivre ensemble » qu’il faut naturellement lire à plusieurs niveaux -l’auteure en fait un décryptage historico-politique à la fin de son ouvrage- décrit une famille recomposée : un (nouveau) couple, deux garçons. Déborah vit avec Pierre, chacun doté d’un fils. Le fils de Pierre a une mère, jamais nommée par son prénom. Cette mère ne semble pas répondre aux canons de la mère idéale. En tout cas, si elle est mère, elle a juste été pour Pierre une fille « avec qui on baise de temps en temps » après une soirée arrosée. Le fils de Pierre et de cette femme, dont on ignore l’âge, le prénom mais rien du tempérament violent et égoïste, a une dizaine d’années et semble assez perturbé. Agressif, colérique, cérébral, peut-être a-t-il aussi du mal à vivre avec le fait qu’il n’était pas désiré.
C‘est du moins l’explication magnanime que donne Déborah au comportement du jeune garçon. Car Déborah, elle-même, dont l’ancien compagnon est musulman, alors que le nouveau est juif, coche toutes les cases de la « bonne mère » en plus de la mère chanceuse. Elle est prête à accueillir avec amour le fils de son compagnon, se réjouit que son propre fils ait choisi de suivre les traces maternelles de la judéité mais assure qu’il aurait pu tout autant devenir musulman.
De scènes spectaculaires en épisodes plus « sérieux » (car on réfléchit à la vie, au monde, à la société), le livre se termine par une scène qui relève du Grand Guignol. Mais on entrevoit la vie d’un couple bobo-parisien, plutôt content de lui, ainsi que les difficultés de vivre ensemble,  tout en gérant les conséquences de son ancienne vie.
Le rapport avec les homards?

photo lexpress.fr
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 Emilie Frèche, 43 ans, écrivaine et scénariste, vit avec Jérôme Guedj, socialiste de 47 ans, élu dans l’Essonne. La précédente compagne de Guedj, avec qui elle a eu un fils en 2006, est Séverine Servat, journaliste à Gala, et épouse de François de Rugy….  Quelle est la part du vrai dans le roman à charge de Frèche? Une part assez importante pour que la mère, jamais nommée, Séverine Servat donc, essaie de faire interdire le livre et à défaut, fasse insérer un encart dans chaque exemplaire mentionnant une « atteinte répétée à l’intimité de sa vie privée et de celle de son fils ». Guedj et Rugy se sont également vertement interpellés par hebdomadaires interposés sur cette affaire.Quant à elle, l’auteure se défend d’avoir décrit une situation réelle, préférant parler d’archétypes bibliques tout en admettant qu’évidemment elle a aussi puisé dans son quotidien.
C’est à peu près ce que dit Christine Angot, quand elle a été poursuivie en justice après la sortie de son livre « Les Petits » où elle parle de l’ex-femme et des quatre enfants de son nouveau compagnon. De Christine Angot, j’avais bien aimé « le rendez-vous des amants » où, pour une fois, elle (le personnage) semblait tout à fait dépassée par son fuyant amant (Doc Gynéco).

image : monbiococon.fr
image : monbiococon.fr

Quelques années auparavant, Alix Etournaud, dans Mieux vaut en rire, (JCLattès, 2011), avait fait le récit détaillé du cyclone qu’elle avait traversé  quand, alors qu’ils attendent leur troisième enfant, son compagnon en pleine crise de la quarantaine, se fait « pécho » comme un bleu par une journaliste très connue. Il s’agit de la relation très médiatisée à l’époque de Matthieu Pigasse, le banquier, et Marie Drucker.  Pour tenter de minimiser l’affaire, c’est l’homme qui lui montre lui-même les premières photos publiées par un magazine people. Puis, tout en l’assurant de son amour, il disparait de plus en plus souvent.  Au fil des pages, les justifications et faux-fuyants du monsieur sont rendus avec un réalisme assez brillant (elle a dû prendre des notes). La voleuse de mari hérite de surnoms et de qualificatifs pas très flatteurs, la speakerine, Marguerite Gauthier, une cinglée, une hystérique, la sangsue, la mante religieuse, une dingue de chez dingue, la mytho, etc. Monsieur dépense des sommes folles pour se faire pardonner par cette femme tombée amoureuse de lui  d’avoir déjà une vie de couple et trois enfants et se comporte de manière à essayer de tout garder, la mère de ses enfants et l’autre femme, certainement plus gratifiante sur le plan mondain – c’est ce que le livre insinue.
La chute de l’histoire? « Le scoop surgit en couverture du magazine Closer le 19  septembre 2009  : «  Marie Drucker abandonnée la veille de son mariage.  » Tout était prêt. Les cartons partis, réception organisée par un wedding planner au Relais & Châteaux L’Oustau de Baumanière, aux Baux-de-Provence, TGV spécial affrété par Michel Drucker en l’honneur de sa nièce. » Et Pigasse épouse Alix Etournaud….

Simone de Beauvoir, elle-même, a recouru à cette fontaine d’inspiration qu’était sa propre vie (plus intéressante, il me semble, que celle de Mmes Frèche et Angot…) : L’invitée (1943), son premier roman, et les Mandarins (1954) par exemple sont une description à peine voilée de son entourage. Sans parler de Lionel Duroy dont la violence emporte tout sur son passage, même les relations qu’il a avec ses propres enfants.

Que penser de ces oeuvres? On peut jouer la carte de l’artiste. Les auteurs s’inspirent toujours plus ou moins de leur quotidien et de celui des autres comme les peintres représentent souvent leurs épouses, leurs amis, leurs enfants ou leurs maitresses et on ne leur reproche pas de ne pas avoir été chercher plus loin un modèle. Ce n’est pas tant de s’inspirer de ses proches que de les décrire trop bien, sans les ménager, en grossissant défauts et agissements et en les transformant en une caricature grossière qui auréole l’auteur(e), par contraste, d’un halo flatteur.
Aimeriez-vous être le modèle d’un auteur?
Pour ma part, je m’en passerai. Surtout qu’avec mon fichu caractère….

Si vous avez envie de lire « la vie des autres », vous pouvez aussi allez relire mes billet sur l’incontournable Delphine de Vigan, Pascal Bruckner et Virginie Mouzat , Constance Debré , Jean-Marc Roberts , Félicité Herzog, et la magnifique Muriel Cerf, qu’il faut absolument avoir lue.