Il y a quelques samedis, un matin, je suis allée voir le dernier film d’Emmanuel Mouret, son dixième et le deuxième que je voyais après Mademoiselle de Joncquières (d’après Jacques le Fataliste et son maître de Diderot) que j’avais beaucoup aimé.
J’en suis sortie enchantée, littéralement, comme on succombe à un charme.
Emerveillée.

Il y a quelque chose de Rohmer, en moins brutal -les personnes rohmeriens sont toujours « cash » dans leurs désirs et leurs expressions.
Quelque chose de Marivaux. C’est la Carte de Tendre (ou carte du tendre comme on a dit plus tard) de Mademoiselle de Scudéry. Parfois un peu de Feydeau, dans les quiproquo, les rebondissements et les situations gênantes.

Les personnages qui vivent dans ce film se croisent et se croisent et leurs sentiments flottent au long de ces rencontres.
Maxime (Niels Schneider) rejoint Daphné (la chanteuse Camélia Jordana) à la campagne. Elle est enceinte de François (Vincent Macaigne) qui doit arriver un peu plus tard.

allocine.fr
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Camélia demande à Maxime de lui raconter sa récente mésaventure amoureuse. Il s’exécute. Niels Schneider dont la beauté de pâtre grec est plutôt impressionnante ne joue pas ici un homme qui cherche à séduire ou impressionner. Il serait même plutôt empoté. De manière assez malicieuse, il a dit s’être inspiré du réalisateur, Mouret donc, dans ses bégaiements, ses hésitations, ses postures un peu raides*.  Camélia Jordana ajoute « j’ai fait pareil« .
Maxime parle à Daphné de sa relation avec Sandra (la délicieuse Jenna Thiam), manipulatrice et un peu inconstante, et avec la soeur de celle-ci, Victoire (Julia Piaton, fille de Charlotte de Turckheim), pleine d’aplomb.
Daphné lui raconte comment sa relation avec François a commencé. De manière clandestine puisqu’il était marié à Louise (Emilie Dequenne). Et alors qu’elle sortait elle-même d’une grande désillusion amoureuse (Louis-Do de Lencquesaing en réalisateur de documentaire).
Personne ne crie. Personne ne se fâche brutalement. Pas de grosses larmes, pas d’hystérie.
Des doutes. Des regrets. Des « revenez-y ». Des dérapages.
Et du suspense.
Il y a en deuxième partie de film un vrai coup de théâtre. Du genre qu’on ne peut pas imaginer.

Les dialogues sont plutôt relevés ce qui est très agréable et donne corps aux sentiments exprimés. Ce n’est jamais pédant, même quand les travaux du grand philosophe René Girard (issu de la confidentielle Ecole nationale des chartes) et sa théorie du désir mimétique (en gros on aime qui est aimé par ailleurs) sont évoqués.

Parler est essentiel :  « On essaie tous de trouver un sens à ce qu’on vit, souvent en se racontant des histoires les uns aux autres. On n’est pas simplement le personnage principal de sa vie : on en est également le narrateur » dit Mouret au journal le Monde.
« Une histoire d’amour c’est l’aventure« * (Mouret), « une rencontre c’est un risque« * (Macaigne).

En 2007,  Libération disait de Mouret : « La tendresse de son cinéma, il la revendique comme «une utopie, la proposition de quelque chose d’autre». «De même que je crois à la nuisance par contagion, je crois à la tendresse par contagion.» Quant à son goût pour les losers (lui préfère les appeler «les grands maladroits»), elle lui vient de Tati, Keaton, Woody Allen ou encore Pierre Richard. «Pour moi, ce sont les plus grands héros ; ils tombent, et chaque fois se relèvent, sans rancoeur, sans amertume ni même pessimisme : une attitude infiniment noble.» Du pur marivaudage en plein règne du SMS phonétisant. »
Ca n’a guère changé et tant mieux.
Les relations sensuelles sont évoquées avec délicatesse.
Les personnages vivent leur désir mais leurs engagements se rappellent à eux et les liens se défont, à regret mais de manière déterminée. Contrairement à ce qu’écrit le Monde, ce n’est pas une « farandole des amours insincères »,  juste des oscillations de coeurs qui hésitent à choisir, parce que choisir c’est perdre aussi quelque chose.

C’est un film très français dans sa finesse, une dentelle de sentiments, robustes ces derniers pourtant.
Comme les films de Christophe Honoré (Chambre 212 , voir ici, qui nous met dans la tête de Chiara Mastroianni qui regarde ses amours passées défiler dans sa chambre ou les Chansons d’amour du même réalisateur qui parle hésitations, deuil et poursuite de la vie).
Voilà.
La vie continue.
On sent bien que ces personnages n’ont pas fini de se croiser et peut-être de s’aimer à nouveau.
Mouret nous dit : « J’aimerais que ce soit un film qui donne envie d’aimer« .
C’est le cas. On en sort comme d’un bain de jouvence. Evidemment, dans la réalité, c’est un peu moins simple…

* à voir sur youtube dans Première Magazine. Les acteurs sont joyeux et heureux, ce qui est toujours le signe d’un film réussi.