Constance Debré Love me tender
Dans le registre « je ne fais que critiquer » (comme avait dit la lectrice bêbête d’un blog ami après être venue 30 secondes sur le mien lors du premier confinement) et « j’aime bien parler de ce que je n’aime pas autant de ce que j’aime », voici un papier sur le deuxième* livre de l’héritière de la dynastie Debré.
Natures délicates et oreilles chastes, arrêtez là votre lecture! Certains choses pourraient vous choquer.
Premier point en passant.
Constance Debré peut bien écrire ce qu’elle veut, aurait-elle été publiée si elle n’avait pas porté ce nom connu et respectable, voire respecté?
Même chose pour Félicité Herzog qui a écrit un livre sur son célèbre père, puis un 2e, et un essai sans recevoir le même écho que pour le premier.
Revenons à Mme D.
Ensuite.
Que raconte-t-elle qui vaille tant d’articles dans la presse, tant de louanges, tant d‘hyperboles?
Rien d’original.
Rien de nouveau.
Elle a été mariée vingt ans, a eu un fils, était avocate et a tout quitté pour coucher avec des femmes et « écrire »…
On ne sait pas trop ce qui a motivé cette désertion. Enfin si, dans son deuxième livre, elle donne une piste : elle aurait voulu être un pédé. Je cite: « moi, c’est pédé que j’aurais voulu être » (p. 119).
Dans cette suite à Playboy (ah ce goût bien français des titres anglo-américains pour faire chic et qui masque le manque d’imagination des auteurs et des éditeurs. Pensons aux merveilleux titres de Colette, de Paul Morand, de Muriel Cerf),
elle alterne des descriptions assez fastidieuses de son nouveau mode de vie (pas d’argent, pas de meubles, des vols en supérette, la piscine tous les matins et une drague effrénée) avec des passages sur sa relation avec son (futur ex) mari, son fils (si on peut qualifier ça de relation) et les quelques séjours chez son père, François, grand drogué devant l’Eternel, disparu en septembre 2020.
Rien d’original, rien de nouveau donc.
Elle n’est pas la première à avoir envie d’aimer des femmes et à le faire, après une vie hétéro – et qui sait, avant le retour à une vie hétéro (j’en ai vu pas mal des parcours de ce genre).
Pas la première à se transformer en (pseudo) mec (le blouson, les cheveux rasés, les tatouages aujourd’hui. Hier, le costume 3 pièces, le cigare).
Pas la première non plus à avoir des difficultés avec l’amour maternel, voire avec l’amour tout court.
Colette, véritable écrivaine elle, a vécu tout ça et n’en a pas fait toute une histoire, même si elle a soigneusement mis en scène sa relation avec Missy (Mathilde de Morny, devenue marquise de Belbeuf après un court mariage de convenance, toujours habillée en homme, les cheveux courts, fumant le cigare) et a joué au théâtre avec elle au début du XXème siècle, faisant scandale, un de plus dans sa vie.
Colette a eu sa fille unique à 40 ans et ne s’y est guère intéressée, elle qui,pourtant, a tant aimé sa propre mère.
Plus d’un siècle après la liaison de Colette et « Missy », comment peut-on encore croire que passer d’hétéro à goudou (si elle parle de pédé, je peux bien écrire goudou, mot qu’elle n’emploie jamais, elle n’est pas fille des années 1980), c’est transgressif, original, extraordinaire?
Ca doit épater les petites bourgeoises, faire frissonner ses anciennes copines des beaux quartiers (je n’imagine pas un instant qu’elle ait pu vivre sa jeunesse dans l’Est Parisien. Et de fait, elle vit dans le 6ème puis le 5ème puis vers Denfert-Rochereau).
Qu’a-t’elle fait de vingt à quarante ans? Elle est restée avec son mari, premier et unique amant. Se morfondant. Etouffant ses désirs?
Pourquoi?
Pourquoi faire exploser le carcan si tard? Si brutalement?
Sans aucun égard pour son fils. On n’a pas la réponse.
Tout agace Mme D. Tout.
Les femmes qu’elle rencontre et qui « veulent un appartement, un chien, des gosses » (remarquons qu’elle a eu l’appartement et le gosse. Pour le chien, on ne sait pas).
Les femmes qui, aimant les voyous et les Don Juan, tombent amoureuses d’elle, probablement davantage pour le sentiment de frôler un dangereux précipice que pour ce qu’elle est réellement.
Son ancien travail avec lequel elle ne veut plus renouer.
Son ancienne vie « bourgeoise » qu’elle vomit.
Son manque d’argent.
Ses trop petits appartements.
Son ex-mari qui la poursuit de ses assiduités avant de la rejeter totalement.
Son fils qui reste au lit au lieu de lui sauter dans les bras.
Son père (dont j’avais lu « Trente ans avec sursis » sur sa dépendance à l’opium et à l’héroÏne, ), « une puissance négative qui absorbe tout, tout élan vital« . Son père qui vivait avec peu de choses, ayant tout claqué dans les drogues.
Lui reste un seul objectif: « continuer à vivre comme un mec, en jeune homme, en célibataire, en solitary man comme dit Johnny Cash« .
Et surtout s’occuper d’elle-même « Je n’ai pas fini de m’occuper de moi, c’est la seule affaire qui me passionne, ça me prend un temps fou » (il n’y pas probablement aucun second degré, aucun humour dans ces assertions).
Elle a plus de points communs avec son père (et sa mère, droguée également, morte quand elle avait 16 ans) qu’elle ne veut bien l’admettre : cet égoïsme forcené propre aux drogués, faire passer avant toute chose et toute personne sa propre vie, laisser son enfant à d’autres comme son père a laissé ses filles à ses frères. Ne supporter aucune contrainte (élever un enfant, ce n’est pas seulement aller au jardin du Luxembourg ou manger des crêpes avec lui). Consacrer toute son énergie à faire croître son nouveau moi (« J’ai tout fait pour la vie nouvelle, pour l’aventure »).
Famille, je vous hais. Mais famille qui malgré tout soutient, même du bout des lèvres. Et même si elle n’a rien demandé à sa famille, son nom lui sert de passeport.
Un tempérament de drogué appliqué à d’autres addictions.
Je ne nie pas la souffrance qui apparait ici et là. Mais bon, cette souffrance (de ne pas voir son fils), elle en est responsable. Et cette responsabilité, elle n’en veut pas car l’amour maternel, ce n’est pas pour elle. Trop petit, trop étriqué. Car « mère c’est quelque chose de pire que femme. C’est un peu comme domestique. Ou chien. Mais en moins bien. En plus méchant« .
On a de la peine pour elle.
Tant de violence, tant d’égoïsme et sans doute, tant de souffrance personnelle.
Tout ça pour arriver aux dernières lignes de ce petit livre : « Je trouve ça bien quelqu’un qui m’aime« .
On est content pour elle.
Moins pour la personne qui est celle qui aime.
Enfin, la qualité même du livre fait l’objet de débats.
Je suis de l’école qui pense et écrit : « Il y a une grande banalité qui nous est infligée en permanence et sous la rage, qui est réelle, permanente, il y a beaucoup de complaisance sur le récit de ses rencontres, il y a des pages délirantes sur le statut de mère. Oui, elle souffre beaucoup d’elle-même, des autres mais il y a tout de même, à l’intérieur de ce livre, un petit côté prédatrice et cynique de ses amours contingentes, et elle a une façon de les utiliser, de les violenter, de les rejeter comme bon lui semble, avec une vraie violence. Et cela est bien revendiqué, bien affirmé » (J-C Raspiengeas).
Moi, moi, moi. Ca ne vous rappelle pas un autre auteur?
Oui, je le redis.
Mme D me fait un peu de peine.
Sa petite notoriété lui monte à la tête.
Elle est pleine d’elle-même.
Elle se trouve formidable, transgressive, incroyable.
Elle vend ses livres. Donc elle va avoir de nouveau de l’argent. Et en plus, les paillettes, les émissions télé, les photos dans les magazines sur lesquelles elle pose sagement à côté des journalistes stars…
Elle va être adaptée au cinéma.
Elle a du succès.
Elle aurait tort de le bouder. C’est parfois éphémère.
Mais au fond, toutes ces critiques super-mega élogieuses, que disent-elles de celles et ceux qui les écrivent? Qu’ils/elles, (petits) bourgeois bien sages, pontes du petit monde de la critique littéraire, applaudissent les frasques de Constance D. comme on se donne un frisson… Ils applaudissent la performance qui leur permet de vivre par procuration les écarts familiaux et sexuels qu’ils ne se sont pas autorisés, ou alors en douce. Ensuite, contents de ne pas vivre comme elle, ils rentrent chez eux dans leur bel appartement bien décoré. Et puis, on ne sait jamais : elle est de la famille Debré, il ne faut pas se fâcher avec les gens dont la famille est influente… Et de toutes façons, dans quelques mois, d’autres à la vie encore plus délabrée seront arrivés, auront réussi à faire ou faire écrire un livre et le trône sera occupé par quelqu’un d’autre à qui toutes et tous tresseront de nouveaux lauriers.
Ca condamne Constance Debré à en faire toujours plus? Peut-être.
C’est déjà le cas sur son compte instagram, essentiellement consacré à elle, sa personne, son oeuvre, où elle s’affiche, crâne rasé, dos musclé, avec quelques photos de feu Guillaume Dustan**.
Constance Debré pourrait légitimement écrire : Constance Debré , c’est moi.
Ca n’en fait pas pour autant le Flaubert des années 2020 (Madame Bovary, c’était lui et ô combien).
* C’est d’ailleurs inexact. Elle a publié deux autres livres mais qui n’ont pas eu de succès. Je devrais écrire son quatrième livre.
** Guillaume Dustan était le pseudonyme de William Baranès (1965-2005), énarque, magistrat, écrivain à temps plein à partir de 1997. Les témoignages que l’on trouve sur sa fiche wikipedia rendent compte de sa personnalité et du personnage qu’il s’était construit. De même que C. Debré est à des galaxies de Flaubert, elle est à des lieues de Dustan. Peut-être que ce qui compte pour elle, c’est de croire qu’elle est comme lui…
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Cette course à l’étalage narcissique de « vies délabrées », comme vous dites si bien, ne connaît pas de répit. Que restera-t-il de tous ces récits provocateurs pour la postérité ? D’autres ont eu des vies d’excès et « de la boue en ont fait de l’or ». À lire vos critiques, Emmanuel et Constance ont encore des progrès à faire…
Des progrès à faire? On peut toujours faire mieux dans la monstration de soi-même… C’est comme la téléréalité, on croit qu’on a touché le fond, mais non (je ne regarde aucune émission de téléréalité. J’ai vu Le Loft en son temps et ça m’a suffi).