Emmanuel Carrère. Le royaume. Yoga
Après avoir lu Un roman russe dont j’ai déjà parlé, me sont tombés sous les yeux Le royaume qui a connu un grand succès et Yoga.
A propos de Yoga, tout le monde (critiques, lecteurs) s’accorde : c’est un (très) mauvais livre.
Mais beaucoup l’achètent malgré tout. C’est comme ça les écrivains à succès (et Johnny Hallyday) : même si c’est raté, les fans suivent et restent fidèles.
C’est effectivement mauvais. En tout cas, ce n’est pas un roman, ni même un récit autobiographique. On dirait plutôt une succession mal ajustée de « papiers » qui auraient pu être proposés à Yoga/Psychologies/Zinzin Magazine (titre factice), voire dans Le Parisien, Le Point, l’Obs, Marie-Claire...
Comme dans une « soupe anglaise » ou une ratatouille, il y a un peu de tout : du yoga, de la méditation, les attentats de 2015, un séjour à l’hôpital Sainte-Anne (chez les zinzins donc), la rencontre avec de jeunes migrants (et l’Alain Delon afghan), ses cuites, ses obsessions sexuelles et lui, lui, lui, lui, lui et encore lui.
Sans grande cohérence le tout, sinon peut-être chronologique.
Et lui, lui, lui, lui et encore lui qui colle tout ça ensemble, façon puzzle comme aurait dit Audiard (Les tontons flingueurs). Il se surpasse dans l’art de parler de lui et seulement de lui, en ajoutant par ci par là quelques historiettes plus ou moins érotiques, plus ou moins sentimentales, bien troussées car le Monsieur sait écrire.
En revanche, les quelques pages sur le tai-chi, art qu’il a pratiqué dans le 5e arrondissement, m’ont beaucoup plu. On sent son attachement réel à cet art martial qu’il esquisse de façon très juste pour qui en fait comme moi. Il y va même de sa petite anecdote décrivant une dame (une petite dame boulotte pas très jeune) qui aurait utilisé la forme des « mains dans les nuages » pour faire fuir deux voyous qui tentaient de lui piquer son sac. Personnellement je n’aurais pas pensé à cette forme particulière pour me défendre, mais pourquoi pas? Le Tai-Chi est aussi un art de défense plutôt énergique.
Anecdote suivie du docteur Yan, son maître, en action, démontrant avec brio que le tai-chi peut être pratiqué très lentement ou très rapidement (et dans ce cas, c’est pour tuer). Ca m’a rappelé mes années de karaté avec un professeur breton complètement fou qui avait appris au Japon selon des méthodes particulièrement exigeantes et qui tremblait devant son maître japonais.
Pour ces quelques pages, le livre vaut la peine d’être feuilleté, emprunté, parcouru.
Acheté? Je n’irais pas jusque là.
Comme d’habitude, Carrère parle longuement de lui -mais pas de sa compagne de l’époque suite à divers tracas juridiques sur lesquels il s’est longuement épanché dans la presse-, des amours des autres (Bernard Maris, mort dans l’attentat de janvier 2015 au siège de Charlie Hebdo. Une petite pancarte lui est dédiée sur les planches de Trouville) , de la Grèce où il a une bicoque sur l’île de Patmos, de ses amis aisés et cultivés, au fil de pages fort peu intéressantes.
Pire, sous couvert d’une sorte de transparence biographique, il y aurait pas mal de bobards. Ainsi son séjour en Grèce aurait été beaucoup moins long que ce qui est raconté (quelques jours au lieu de plusieurs mois), les personnes rencontrées sont inventées pour la plupart. Et son insistance à parler de jeunes migrants est gênante tellement ça sonne faux dans la vie d’un homme qui aime les beaux quartiers, les gens comme lui (éduqués, aisés, séducteurs ou séduisants), les honneurs, etc et évite soigneusement toute empathie, comme tout engagement humanitaire.
Quant aux pages sur son séjour à Sainte-Anne, elles sont, hélas et je le regrette, d’une platitude incroyable, pitoyable même.
Non seulement la description en est peu intéressante mais cet homme ne s’intéressant à rien d’autre que lui-même a perdu tout talent pour décrire ce qui l’entoure et les gens qui vivent autour de lui. C’est regrettable de gâcher ainsi son talent et sa pratique d’écrivain. Les hôpitaux sont des endroits tellement incroyables, pittoresques si j’ose dire, qu’on attendait vraiment mieux.
Au fond, seuls le yoga, la méditation et le tai-chi apparaissent de manière sensible.
Pratiques les plus proches de lui, dans lesquelles il ne semble pas mettre d’autre enjeu que d’essayer d’y être honnête.
Le royaume, paru en 2014, échappe partiellement à ce narcissisme effréné et envahissant.
A partir du souvenir d’années où il fut intensément catholique, Carrère retrace la vie de saint Paul, Paul de Tarse, né Saul, citoyen romain et juif pratiquant qui contribua à persécuter les premiers Chrétiens avant sa conversion (le très célèbre épisode du chemin de Damas), et celle de Luc, témoin et narrateur. Paul est connu pour et par ses lettres (les épîtres, dont sept sont considérées comme authentiques) et par l’évangile de Luc qui aurait fait avec lui une partie des voyages d’évangélisation.
Tout le talent de Carrère est mis à profit et crée un récit prenant qui essaie de savoir (comme bien d’autres exégètes l’ont fait avant lui) ce qui est authentique de ce qui ne l’est pas.
On suit ainsi Paul à Rome, dans une Rome surpeuplée, où s’entassent les gens dans des immeubles de 7 et 8 étages. Plus on habitait haut, plus c’était un signe de pauvreté. Car si l’immeuble brûlait, ce qui arrivait fréquemment, les habitants des derniers étages avaient évidemment peu de chances de s’en sortir vivants. On analyse les miracles, les rencontres. On découvre le caractère ombrageux de ce converti, son obstination à transmettre le message, son souci d’être accepté par les communautés.
Usant d’une écriture à la fois vulgaire (les évangiles revus par Pierre Bellemare. Manquent juste les coupures publicitaires) et sensationnelle, déployant majestueusement sous un aspect modeste, son art d’écrivain, Carrère nous entraine dans cette aventure unique des premiers apôtres. On n’a qu’une envie : relire l’évangile de Luc!
Evidemment il faut encore subir ses digressions personnelles.
Y compris un passage où il retombe dans son travers préféré : manipuler le lecteur.
Prétendant être tombé sur une vidéo porno « amateur » dont il nous fait une description détaillée, il prétend aussi que sa femme, Hélène (c’est son vrai prénom), à qui il en a parlé l’a recherchée, cette vidéo, et tombe d’accord avec lui : c’est bien une vidéo amateur, tournée par une femme qui ne sait pas qu’ensuite ces images ont été mises sur internet.
On peut douter de la véracité de l’histoire :
Premièrement, tout est écrit pour que le lecteur naïf cherche (en vain) cette vidéo et perde ainsi son temps.
Ensuite, ce qu’il décrit est tout, sauf une vidéo amateur.
Ou bien -ce n’est pas peut-être pas exclu au fond, Emmanuel Carrère n’a jamais rien compris à la jouissance féminine et n’a jamais vu une manifestation réelle de cette jouissance.
Je n’en dis pas plus.
Et si c’était lui le dindon de la farce….
(si quelqu’un a un avis sur ce point particulier du livre de Carrère, qu’il/elle se manifeste : video amateur ou pas, telle que Carrère en parle?)
Le royaume POL 2014
Yoga POL 2020
Bonus : une courte video d’un cours de Tai-chi par ma professeure Tina Grumme (la video a peut-être été légèrement accélérée).
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