Delphine de Vigan a écrit il y a quelques années ce qu’elle qualifie aujourd’hui de livre biographique, Rien ne s’oppose à la nuit (éditions Jean-Claude Lattès, 2011) dont j’ai parlé ici.
Livre dérangeant par son sujet (la folie, l’inceste, la quasi pédophilie) comme par son traitement.

Lire D’après une histoire vraie (éditions Jean-Claude Lattès, 2015) ne m’emballait pas plus que ça. Je l’ai emporté dans un de mes voyages professionnels avec l’idée de l’abandonner sur place ou de le donner à un collègue francophone.
Les 3/4 du livre m’ont franchement agacée. Le personnage, Delphine comme l’auteure, essaie de se remettre à l’écriture après avoir connu un énorme succès de publication. Puis elle rencontre une femme qui, non seulement, est une fan mais aussi une personne d’autorité qui entreprend de remettre sur pied l’écrivaine. L. enveloppe Delphine, l’englue dans ses filets, la subjugue par son élégance, sa culture, ses capacités à organiser le quotidien et par ce qu’elle raconte de sa vie.
Le tout écrit sur un ton geignard, plaintif, assez insupportable. .
Brusquement, la fin du livre arrivant, les coups de théâtre se multiplient.
Habiles et inattendus.
Le lecteur doit constater qu’il s’est fait mener en bateau.

Appuyés par une réflexion brève mais intéressante sur la notion de fiction.
Comment écrit-on? Que peut-on écrire? Le résultat est-il prévu par l’auteur? Ou bien finalement l’oeuvre échappe-t-elle toujours au créateur qui ignore parfois lui-même ce que les lecteurs voient?
Cette réflexion finale vient en écho aux premières pages qui évoquent le succès énorme du livre précédent (Rien ne s’oppose à la nuit), l’attente des lecteurs, leur émotion, la sienne. Car voir dans toutes les libraires la photo de sa mère, jeune et belle, en couverture de ce livre si déprimant a quelque chose de bouleversant.

Prendre une distance avec les lecteurs, avec la notoriété, avec ce livre qui vivait une vie glorieuse et indépendante, était nécessaire.
Ce qui traverse D’après une histoire vraie est la question du vrai. Ce qui est écrit est-il vrai?
Puisqu’elle parle de sa mère, forcément tout devait être vrai. Et puis on retrouve facilement des photos des personnages qu’elle décrit, j’en ai fait l’expérience.
C’est l’effet « vu à la télé ».
Delphine de Vigan le dit et le répète dans ce livre comme dans les interviews : on se raconte une histoire, même si les faits sont avérés. On se la raconte. La puissance d’un roman vient du « filtre sur l’objectif » davantage que de la réalité elle-même.
Car l’écriture opère une transformation du réel.
Mais bien sûr ses lecteurs ne sont pas d’accord. Ils veulent l’accent de vérité, c’est ce qu’ils aiment, ce qui les fait vibrer, ce qui nous fait tous vibrer. D’ailleurs les photos qui sont en couverture des livres ne sont-elles pas des vraies photos tirées des albums de famille? C’est bien la preuve que c’est vrai ce qui est raconté à l’intérieur.
Finalement l’histoire vraie devient un argument commercial.
Comme chez Lionel Duroy, Raphaël Enthoven, Edouard Louis, Emmanuel Carrère, Christine Angot, etc…
L’histoire vraie fait vendre en effet.  Delphine de Vigan a eu le prix Renaudot et le prix Goncourt des lycéens. Et 4 prix pour le précédent.
Polanski en a fait un film en 1997.
Avoir un ou des gros succès commerciaux permet aussi de changer d’éditeur.
Delphine de Vigan part chez Gallimard en 2021, comme Philippe Djian avait quitté en 1992 Bernard Barrault (départ dont la maison d’édition ne s’est pas remise) pour Gallimard.

parismatch.com
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L’amant (éditions de Minuit, 1984) de Marguerite Duras (1914-1996) aurait-il eu ce succès mondial s’il n’avait pas été vendu comme vrai?
Arrivé relativement tardivement dans sa carrière d’écrivaine (elle a 70 ans quand il sort), ce n’était pourtant pas, et de loin, le premier texte puisant dans sa vie. Par exemple, le poignant Un barrage contre le Pacifique sorti en 1950 chez Gallimard.
Mais L’amant est un sujet bien plus universel (l’amour) et sulfureux (une relation entre une jeune fille de 15 ans et un riche Chinois qui en a 27).  Duras est devenue une icône (ses cols roulés en cachemire beige) et une scandaleuse (son article dans Libération lors de l’affaire Grégory).  Sur tous les plateaux télé, elle a asséné ses avis catégoriques et sa détestation de ses « collègues » auteurs. La notoriété lui serait-elle monté à la tête?
Peut-être. Il est probable qu’elle a joui de la place à laquelle on la mettait et de cette tardive notoriété très grand public.
Ce qui est certain est que la photo largement diffusée de la très jeune Duras  a contribué à l’adhésion du public.
Le prix Goncourt et le prix Ritz-Paris-Hemingway lui ont été décernés. Jean-Jacques Annaud en a fait un film en 1992. Mécontente du résultat, Duras écrit une nouvelle version de son histoire : L’amant de la Chine du Nord (Gallimard, 1991).
Ce n’est pas mon livre préféré de Duras.