Photo : cinechronicle.com
Photo : cinechronicle.com
Toni Erdmann, c’est toute la folie de l’Allemagne gérée avec rigueur!
C’est précisément le contraste entre deux tempéraments, celui du père, Winfried Conradi (Peter Simonischek, Autrichien), enseignant solitaire qui vit avec son vieux chien, et celui de sa fille, Inès (Sandra Hüller, Allemande), cadre à Bucarest dans une boîte de conseil qui donne aux entreprises les conseils pour faire des économies (comprendre : comment licencier et faire plus de profits).
C’est un film émouvant, intelligent, dérangeant et parfois drôle (au sens où j’ai ri) que j’ai adoré.
Photo :br.de/radio/bayern
Photo :br.de/radio/bayern
Winfried est un solitaire donc, divorcé, qui visite sa vieille mère et promène son chien à bout de souffle. Pour tromper sa solitude, et peut-être parce qu’il n’a pas grand-chose à dire aux autres, il est adepte de blagues un peu stupides. Le film commence d’ailleurs par une blague qu’il fait au facteur et dans laquelle, en tant que spectateur, on a un peu de mal à rentrer.
Sa fille, venue brièvement en Allemagne à quelques jours de son anniversaire, est une jeune femme ambitieuse, sérieuse et même un peu rigide, qui semble bien seule, elle aussi, bien que pendue en permanence au téléphone avec son patron ou ses collègues.
Winfried décide sur un coup de tête de la rejoindre à Bucarest sans la prévenir. Ca ne se passe pas très bien et il repart – ou plutôt fait semblant de repartir. Dès lors, sous le nom de Toni Erdmann, et le déguisement improbable d’une perruque brune échevelée, il poursuit sa fille de soirée en réunions, de déplacements sur le terrain en fête d’anniversaire.
Pourquoi ce film que j’ai trouvé émouvant, intelligent et profondément original autant qu’humaniste  déçoit-il tant de spectateurs (voir la critique de Dasola)?
Sans doute parce qu’il a été présenté comme un film « hilarant », ce qu’il n’est pas. Pourquoi avons-nous du mal à rire en voyant ce film? Parce qu’il est sans artifices.
J’ai réfléchi à la structure du film et à son montage : il n’y a aucune musique pour appuyer les effets comme on en trouve dans 99% des films d’aujourd’hui. Il n’y a naturellement pas non plus de rires enregistrés qui indiqueraient à quels moments il faut rire. Rirait-on vraiment à Friends sans tous ces rires qui accompagnent chaque mimique, chaque réplique? Ce n’est pas certain.
Maren Ade a réalisé un film exigeant, avec un véritable scénario, de vrais personnages et de grands acteurs. Il faut prendre le temps de s’habituer aux personnages, celui du père et celui de la fille, le temps de les découvrir. Et là, on comprend l’amour du père pour sa fille, on réalise qu’il a peur qu’elle soit malheureuse toute seule dans un pays étranger et un milieu profondément machiste.
On voit aussi l’amour de cette fille pour son père envahissant, aux blagues lourdes, mais qu’elle ne trahit finalement jamais, acceptant même de le présenter sous le nom qu’il s’est choisi et de chanter une chanson en anglais, son père au piano, dans l’appartement de Roumains que ni l’un ni l’autre ne connaissent (la scène est grandiose).
L’un et l’autre, chacun à sa manière, résiste à la pression du jugement des autres, à la peur de la solitude et même retournent la situation en leur faveur, sans mentir et sans se déjuger.
Plusieurs scènes en témoignent :
sandra huller
la fameuse scène sexuelle qui a déplu à tant de blogueurs/ses est, selon moi, tout simplement un jeu sexuel qui a visiblement déjà été pratiqué entre Inès et Tim (Trystan Pütter) et qui permet à Inès de prendre momentanément le dessus dans sa vie où pas mal de choses lui échappent. Contrairement à ce que certains ont pu penser (et moi, je me demande quelle vie sexuelle ils/elles ont….), l’amant n’est pas humilié, c’est juste pour parler vulgairement « un petit coup vite fait » dans une variante originale.
Les scènes où Winfried/Toni, sans se soucier d’être crédible,se présente comme un coach de pdg ou l’ambassadeur d’Allemagne à Bucarest sont franchement épatantes. Et le brunch d’anniversaire qui tourne à la Nakt Party (« fête à poil ») est une trouvaille géniale.
Vers la fin, quand Inès se jette dans les bras de son père transformé en une sorte de yéti (le sens de l’affiche se dévoile alors) chancelant est un moement tout simplement magnifique.
Je ne partage absolument pas l’avis que ce film serait laid ou les personnages seraient répugnants et antipathiques. Penser çà, c’est ne pas arriver à sortir des standards habituels du cinéma : belles images, belle musique, beaux acteurs, beaux costumes et dans ce cas, mieux vaut se limiter aux comédies américaines ou aux films du genre L’Arnacoeur (que personnellement je n’ai pas vu voir jusqu’au bout tellement l’histoire est bête et les acteurs mauvais) …. Heureusement les Matching Points ont aimé Toni Erdmann!
Photo : telerama.fr
Photo : telerama.fr
Maren Ade dont c’est le 3ème film et qui se produit elle-même ne manque ni d’idées, ni de courage.
On peut lire des interviews ici, ici et où elle explique très bien, mieux que moi et différemment, ce qu’elle a voulu exprimer.
Oui! C’est un long billet mais le film le mérite.