Sophie (Danguy) des Déserts, journaliste, a commis une biographie rapide de Jean d’Ormesson (1925-2017) : Le dernier roi soleil (Fayard/Grasset, 2018).
Rapide mais moins désinvolte et superficielle que son sujet.
Qui n’a vu Jean d’Ormesson cabotiner à la télévision, ravi, comme Fabrice Lucchini avec qui il partageait égotisme et narcissisme, de son succès auprès des journalistes, des animateurs, de ses nombreux admirateurs, admiratrices surtout?
D’un physique pourtant quelconque, si on excepte le bleu de ses yeux, car il était petit avec un nez fort et de traviole. Son père lui aurait même dit lors du mariage d’un autre aristocrate, beau lui comme ses frères : « toi, à côté d’eux… on dirait un roquet au milieu des lévriers ».
Eduqué à la maison jusqu’au lycée, privilège assez rare (Luc Ferry aussi), issu de familles authentiquement aristocratiques par son père et sa mère, il cultive soigneusement dilettantisme et relations du même rang que lui.
C’est étonnant qu’il ait passé (et réussi) Normale sup et l’agrégation de philosophie.

Car un de ses grands plaisirs aura été de flemmarder.
Un de ses luxes de ne jamais, mais jamais, s’occuper de gestion, d’intendance, de quotidien. Même acheter le pain le rasait, a dit sa femme.
Homme de plaisirs, homme à femmes, y compris celles des autres, à commencer par l’épouse de son cousin sous le toit duquel il vivait (et naturellement c’est l’épouse qui a été répudiée, vilipendiée alors que lui s’en est tiré comme toujours, par la fuite et une indifférence évasive).
Il a malgré tout recherché avec une assiduité remarquable, plus remarquable que la qualité de ses livres, la gloire par l’écriture. « Logé » grâce à son père dans une des nombreuses niches de l’Unesco (bien payé, sans qu’on exige beaucoup de travail), il a essayé pendant des années de se faire publier et de se faire lire.
Le succès est venu assez tard, puis ne l’a plus quitté.
Comme lui-même n’a jamais quitté sa classe.
Sauf peut-être pour son mariage. Une seule épouse, Françoise, issue de la richissime famille des sucriers Béghin, avec qui il a dû se marier car elle était enceinte et souhaitait régulariser. Une fille d’industriels, alors qu’André d’Ormesson répétait à ses fils qu’on n’épouse pas ses fournisseurs? Oui, mais elle lui a apporté l’argent, l’hôtel particulier à Neuilly, la domesticité et la tranquillité.
Il n’a cessé de fuir, dans son bureau pour écrire, dans des soirées où elle n’était pas, dans des voyages avec d’autres fiancées.
Dans le même temps, il a recherché, et obtenu, les honneurs : élu à l’Académie française, sans concurrent. Directeur du Figaro, sans talent pour la gestion, ni goût pour le management. Et même publié dans la Pléiade….
Il a vendu des centaines de milliers d’exemplaires de ses livres, sans plaire aux critiques, ni François Nourrissier, ni Jérôme Garcin du Nouvel Observateur et de France Inter (Le Masque et la Plume). Garcin pourtant n’est généralement pas avare de compliments sur toutes sortes d’auteurs.
Soit il est tellement installé dans son journal qu’il n’a pas besoin de flatter un auteur « Figaro », soit il sait que Jean d’Ormesson ne lui renverra jamais l’ascenseur. Les deux sans doute.. L’univers du journalisme est fait de services rendus et reçus.

Le livre de Sophie des Déserts, elle-même dotée d’une particule et d’un mari à particule, ce qui l’a sans doute aidée à approcher le phénomène, n’a pas la force puissante et la documentation fouillée d’une Deirdre Bair, biographe de Simone de Beauvoir et d’Anaïs Nin.
Son récit n’a pas  l’ambiguïté perverse de Rien ne s’oppose à la nuit de Delphine de Vigan (dont j’avais parlé ici). Ni la colère âpre des livres de Lionel Duroy (dont j’avais parlé ici) .
C’est une écriture plus légère, comme celle de Marie-Dominique Lelièvre qui a écrit l’excellente biographie de Sagan.
En lisant ce livre, réellement très agréable, on se demande ce que l’auteure pense au fond d’elle-même de cet homme, de ce personnage. Elle ne le rend pas sympathique, cet aristo sautillant, toujours en activité, indifférent à qui n’est pas de son rang et à qui ne peut pas lui apporter d’autres honneurs, d’autres plaisirs. Cet homme faussement modeste devant les honneurs qu’il aura tout fait pour avoir.
Elle ne semble pas l’aimer tant que ça.

En tout cas, son livre ne donne pas envie de lire les livres de Jean d’O.
Pourquoi donc est-il entré dans la Pléiade? Ce couronnement m’avait laissée plus que perplexe. Je ne comprends toujours pas.