Quand on est une Nifty Fifty (ou Sixty ou même Fourty) et qu’on a encore sa mère, l’univers des possible est immense: une mère en parfaite santé ou en proie à mille maux petits ou grands, tout à fait autonome ou basculant dans la dépendance, au cerveau toujours pétulant ou sucrant les fraises comme on disait naguère.

Au fur et à mesure des années, on est bien obligée de reconnaitre que tout ne va pas pour le mieux et que la vie de notre mère empiète de plus en plus sur la nôtre. On est parfois appelée à tout bout de champ pour une chute, – le cas le plus fréquent- , un cauchemar nocturne qui voit arriver des intrus imaginaires dans la chambre à coucher, des assistantes de vie qui ont oublié les clés et à qui personne ne répond …
Plus rarement, on vous téléphone parce que votre vieille mère, qui vit en résidence et ne sort plus de son fauteuil roulant, s’est….

évaporée. C’est pourtant ce qui m’est arrivé il y a quelques jours.

A la fin de ma journée de travail, vers 19h,  je suis dans le métro et un sms m’informe que ma mère a disparu de la maison de retraite.  Quelqu’un l’aurait-il sortie sans la ramener? Ma mère ne marche plus depuis 2 ans et ne sort pas de sa chambre toute seule, l’initiative ne pouvait venir d’elle.  C’était effectivement le jour où vient la visiter son ancienne aide de vie. C’était aussi un jour à pluies torrentielles. Toujours dans le métro, j’appelle cette dame qui me dit qu’elle est bien venue voir ma mère mais qu’elle est depuis rentrée chez elle.
Quelques coups de fil plus tard, la maison de retraite me confirme que ma mère a disparu depuis plusieurs heures, qu’on ne l’a pas vue au goûter ni au diner. Une panique contrôlée se sent dans la voix de mon interlocutrice. J’étais assez perplexe. Ma mère n’est pas Liliane Bettencourt et on ne pouvait l’avoir enlevée pour une rançon… Elle n’est plus capable de faire avancer son fauteuil toute seule. La maison me jurait qu’elle ne pouvait avoir été envoyée en urgence à l’hôpital. Je voyais mal ce qui avait pu se passer.  L’établissement est près d’un square et la dame qui vient la voir a l’habitude de la sortir dans les allées. Tout de même, avec ce temps, elle ne serait pas sortie…? Une idée traverse mon esprit et s’y incruste. Finalement, cette dame, parfaitement adorable, ne serait-elle pas atteinte d’un Alzheimer précoce (elle a 60 ans)? Elle serait repartie chez elle en oubliant ma mère sous la pluie? Et d’ailleurs pourquoi l’aurait-elle sortie puisqu’il pleuvait? Oui! Pas d’autre solution. L’Alzheimer précoce -et pourquoi pas au fond, on a vu des choses bien plus incroyables- de la visiteuse avait mené à l’abandon de ma mère dans son fauteuil sous un arbre. C’est l’aveugle guidant le paralytique : ma mère incapable de sortir de son fauteuil et même d’appeler à l’aide poussée par une dame encore jeune mais affligée d’un cerveau mité. Je visualisais ma mère accablée par ces pluies violentes, toute seule dans un square désert.

Quelques heures (oui quelques heures après tout de même), mystère éclairci. Ma mère avait été emmenée dans un autre endroit de la résidence pour une petite cérémonie et une personne de l’établissement l’avait remontée au mauvais étage sans que ma mère réalise qu’elle n’était pas dans sa chambre!

Que nos mère s’occupent de nous et qu’un jour nous nous occupons d’elles est dans l’ordre des choses.
Que ce soit facile d’admettre que la personne qu’on croyait toute puissante et immortelle est devenue un être fragile et dépendant est une autre histoire.