Couverture du premier numéro de Captain America

Le bel article de Kid Loki sur le deuxième film consacré à Captain America m’a convaincue d’aller le voir. Dans le même élan, j’ai vu ensuite le premier en DVD. Si vous hésitez, le premier est meilleur que le second à mon avis, moins prétentieux et davantage dans l’esprit de la BD.

Captain America est né en 1940 sous la plume de l’auteur Joe Simon, qui voulait d’abord le nommer « Super American ». Mais les « Super » quelque chose étant trop nombreux, il a changé le nom pour Captain. Le dessin est de Jack Kirby. Le personnage de Bucky, ami d’enfance du super-héros, est inspiré d’un ami de Joe Simon qui était la vedette de l’équipe de base-ball de son lycée. Dès sa parution en mars 1941, le personnage a connu un très grand succès qui ne s’est pas démenti pendant toute la période de la Seconde Guerre Mondiale.
A l’image de Superman, Captain America est un héros nunuche, vertueux, chaste, quasiment asexué tellement il est tout entier dévoué à la mission qu’il s’est donnée: sauver le monde des méchants qui veulent le détruire. Chris Evans, l’acteur qui l’incarne, a un jeu inexpressif et un physique très anglais. Bien que né à Boston, il a une certaine ressemblance avec le prince William -pour moi ce n’est pas un compliment!-.

Chris Evans/Captain America

Comme tous les acteurs de ce genre de films, il s’est doté d’une musculature à la fois impressionnante et très calibrée (je me demande toujours si ce sont des vrais muscles ou des implants). Quant aux gros plans sur ses longs cils épais, ils m’ont fait me demander: sont-ce des faux-cils? Peut-être, super-mascara sans aucun doute (ne cherchez pas la marque, ça doit être du matériel de pro : deux heures pour la pose, autant pour la dépose). Bref, malgré ses gros muscles et ses beaux cils qui lui attirent les convoitises de quelques femmes -elles sont peu nombreuses dans ce film et dans les comics en général, sauf si elles sont les héroïnes de leur propre série-, il reste pur (cf Diam’s quand elle n’avait pas pris le voile) et rien ne le détourne de sa mission valeureuse…
« Le soldat de l’hiver » (The Winter Soldier »), suite de Captain America, m’a intéressée les trente premières minutes car il développe, de façon minuscule mais tout de même présente, un point de vue politique. Ensuite c’est la baston habituelle qui ne varie guère d’un film à l’autre.
Rogers/Captain America travaille pour l’agence de contre-espionnage S.H.I.E.L.D (Le Bouclier), dirigé par Nick Fury (Samuel L. Jackson, avec un bandeau en cuir sur l’oeil gauche mais à part ce détail, égal à lui-même). Rogers s’indigne auprès de lui d’un projet de frappes préventives à grande échelle consistant à éliminer les futurs terroristes à l’aide de vaisseaux téléguidés et de satellites.

Ce sujet est précisément le thème du livre récent de Grégoire Chamayou aux édtions de la Fabrique : « Théorie du drone ». Ce long (363 pages en format poche) et passionnant essai traite des avancées technologiques utilisées dans les conflits armés et leur répercussion sur l’essence même de la guerre.
Le drone est « un véhicule terrestre, naval ou aéronautique, contrôlé à distance ou de façon automatique ». En langage militaire courant, ça devient un « véhicule aérien sans équipage » (Unmanned Aerial Vehicle) ou un « véhicule aérien de combat sans équipage » (Unmanned Combat Air Vehicle), ce dernier portant des armes, autrement dit un drone « chasseur-tueur ». Le drone français de ce genre est appelé le Reaper (la Faucheuse), le nom seul décrit l’action envisagée.

Le drone est une réponse à

l’inquiétude américaine de perdre ses hommes sur le terrain, ce qui, depuis le Vietnam, est un cauchemar national. Ce que permettent les drones c’est « zéro victime » chez les soldats qui les manipulent. Le drone peut déployer des forces armées dans un terrain hostile sans craindre les pertes humaines
Chamayou retrace la genèse de ces engins avant de se consacrer à des développements sur les conséquences morales et philosophiques de leur utilisation. On sort de la guerre selon Clausewitz (militaire prussien, auteur du célèbre traité de stratégie « De la guerre », paru un an après sa mort en 1832), du face à face, de la confrontation à un scénario où l’un fuit tandis que l’autre poursuit. L’ennemi devient une cible. L’engagement militaire classique fait place à un dispositif où le chasseur poursuit sa proie, à distance et sans prendre aucun risque.

Là où l’essai se rapproche du film, c’est dans l’explication des techniques utilisées : pour détecter l’ennemi, il faut l’identifier et le localiser, ce, non plus dans une hiérarchie militaire, mais dans un tissu de réseaux sociaux. Cette  activité de surveillance accumule les données, les regroupe en schémas de vie pour ensuite traquer les comportements inhabituels et prédire ainsi les futurs attentats. L’espionnage classique de la guerre froide reposait sur les mêmes principes, sauf que Smiley dans les romans de John le Carré ne pouvait suivre qu’une personne à la fois. Un drone peut capter les mouvements d’un ensemble de personnes et surtout il n’a jamais besoin de boire, de manger, de dormir…. Les regroupements peuvent être trompeurs et les erreurs fatales. La surveillance est destinée à semer la terreur en éradiquant les comportements suspects et en encourageant les populations à ne pas se joindre aux terroristes.

L’espace lui-même de la guerre change. D’une projection essentiellement plane et horizontale, on passe à un espace verticalisé dans sa frappe, à une mosaïque mouvante et en perpétuelle recomposition. Les frontières explosent, on n’attaque plus un pays, mais un ennemi physique où qu’il soit par des frappes « ciblées ». Il n’y a plus combat, mais exécution de l’ennemi par une arme qui ne peut être atteinte. L’ennemi n’est plus un ennemi politique mais un terroriste dont les revendications ne sauraient être prises au sérieux, il n’est plus un adversaire avec lequel on pourrait à terme négocier, mais un criminel à exterminer. Il y a passage de la « contre-insurrection » à l’antiterrorisme. La surveillance et la chasse sont justifiées comme on justifie la chasse aux nuisibles (taupes, renards, furets). Finalement il s’agit d’éliminer un danger potentiel, ce qui n’est pas un crime et même, c’est la faute de la proie qui aurait dû se tenir tranquille au lieu d’avoir un comportement suspect.
Chamayou écrit encore bien d’autres choses passionnantes et ce qui ne gâche rien, il est plutôt mignon… (on se console comme on peut après avoir lu des choses aussi déprimantes).