Les Faits, autobiographie d’un romancier (The Facts: a Novelist’s Autobiography), sorti en France en 1990, est un des livres les plus malins de Philip Roth (1933-2018) qui, pourtant, en a écrit un certain nombre.
On peut le rattacher au cycle des Nathan Zuckerman, son double romancé. D’autant plus que l’auteur feint de s’adresser à Zuckerman pour lui présenter ce projet d’une autobiographie qui présenterait « les faits ». Zuckerman est supposé lire ce texte, c’est ce que lui demande la préface rédigée en forme de lettre,  et dire s’il vaut quelque chose.
La conclusion offerte par Zuckerman et sa compagne Maria est une analyse (une déconstruction?) du projet autobiographique. Tournure twistée à laquelle s’était également attaquée Delphine de Vigan.

L’approche est intéressante car Roth, comme d’autres avant lui, a bien évidemment utilisé sa vie réelle en la déformant plus ou moins violemment, pour ses livres. Avant sa mort, il s’est efforcé d’exercer le plus grand contrôle sur ses papiers et l’usage qu’on pourrait en faire – ce qui a suscité une énorme polémique. Au point d’écrire un livre entier Notes for my biographer, finalement non publié, mais devant servir de socle à son futur biographe.
Après avoir proposé ce rôle à plusieurs auteurs, Roth se mit d’accord avec Blake Bailey, devenu son biographe officiel mais qui, suite à des plaintes pour harcèlement sexuel, a vu la promotion de son livre annulée par son éditeur cette année.

Roth, de toute évidence, n’était pas une personne sympathique ou chaleureuse, plutôt obsessionnel et tyrannique, surtout avec les femmes.
Claire Bloom, actrice anglaise qui a vécu de longues années (vingt ans) avec Roth, a décrit dans Leaving a Doll’s House: A Memoir sa relation et son mariage, qui n’a duré que cinq ans (1990-1995)  avec Roth. Ce dernier, fou de rage, a répliqué dans un autre livre J’ai épousé un communiste.

thetimes.co.uk
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Le point de départ des Faits semble avéré : une opération ratée du genou vers 1988 a plongé Roth dans une profonde dépression et une addiction aux anti-douleurs.
Engendrant une lassitude à « éroder l’expérience, embellir l’expérience, remanier et agrandir l’expérience à l’échelle d’une mythologie » -ce qui a vraiment été le projet de sa vie-, « au bout de trente ans, on pourrait penser que j’en avais ma claque ».
Bien sûr écrire suppose une transformation de la réalité par l’imagination car « les souvenirs ne sont pas des souvenirs de fais mais des souvenirs de faits tels qu’on les imagine ». Le passé est revisité à partir d’hypothèses et de questions préalables, comme un historien peut le faire. Bien plus que dans une fiction, l’auteur est tenté de se donner le beau rôle tout en éludant l’introspection.

Où est la vérité?
Dans la fiction?
Dans l’autobiographie qui prétend ne pas être de la fiction?
Dans l’autobiographie écrite avec un « nègre », un écrivain de l’ombre, écrivain fantôme comme on dit en anglais (ghostwriter) (ces écrivains cachés ont gagné le droit d’apparaitre comme co-auteurs sur les couvertures des livres qu’ils ont en réalité écrits d’un bout à l’autre)?
Dans l’autofiction?
Lionel Duroy, par exemple, est à la fois un écrivain pour d’autres et un auteur de ce qu’on peut appeler de l’auto-fiction.
« Les faits ont toujours été des notes jetées dans un carnet, qui m’assuraient un tremplin vers la fiction », écrit Roth.

Zuckerman répond à la fin du livre : « Dans la fiction, tu peux être tellement plus près du vrai, sans devoir te soucier en permanence des blessures que tu pourrais infliger à tel ou tel ». Le lecteur n’a pas à être détrompé, à connaître ce qui serait vrai car la fiction est là pour créer un leurre.
Il s’agit là de la survie même de Zuckerman…
La fiction autobiographique a en tout cas le don d’irriter les personnes de la « vraie vie » qui s’y reconnaissent et font des procès à l’auteur …
Gustave Flaubert qui a pris soin d’éviter l’autofiction n’a pourtant pas évité le procès après la parution de Madame Bovary, mais il s’agissait de lui reprocher la lascivité de son héroïne. Il se dévoile dans son abondante correspondance, merveilleusement éditée dans la Pléiade.

Livre très très malin.
On a l’impression de découvrir le vrai Philip Roth.
Et non, c’est juste un tour de passe passe.
Brillantissime.

 

Traduction Josée Kamoun