Chester Brown est un auteur de BD canadien anglophone (bien que venant de Montréal). Il a 61 ans.

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A ma bibliothèque de quartier -je ne dirai jamais assez à quel point je suis reconnaissante aux bibliothèques municipales de Paris de la diversité de l’offre-, je suis tombée sur « Vingt-trois prostituées » (Paying for it, 2011), édité en 2012 par Cornélius. Après sa séparation d’avec sa petite amie – dont le vrai nom figure dans le livre-, l’auteur décide de ne plus fréquenter des prostituées, ou escorts, comme certaines préfèrent qu’on les appelle.

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L’histoire commence en 1999 et va en gros jusqu’en 2003. C’est le récit assez fidèle de ses rencontres tarifées avec 23 femmes, à quelques restrictions près, (il a en quelque sorte anonymisé les femmes pour que personne ne puisse les reconnaitre, les dessinant toutes de la même manière et limité les éléments trop personnels de ses échanges avec elles).
Il a mis un an à écrire le scénario, 4 ans à le dessiner.

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La BD elle-même est précédée d’une introduction du « pape » de la BD américaine indé, Robert Crumb, d’un préambule de l’auteur qui explique le contexte légal de la prostitution au Canada à l’époque et les choix narratifs qu’il a fait, et suivie d’une longue postface, d’appendices et de notes.
Les rencontres elles-mêmes sont entrecoupées de discussions avec deux amis qui lui demandent quelle vision il a de l’amour, de la vie à deux, de la jalousie, de la monogamie, si la prostitution doit faire l’objet de législation ou de réglementation…
Chester se considère comme un défenseur des droits des prostituées à exercer leur métier.
Evidemment une BD, comme un livre, est réductrice mais certaines choses m’ont paru gênantes, d’autres plutôt réalistes.
Le personnage, qui est l’auteur lui-même, ne veut rencontrer que des filles jeunes (ayant plus de 18 ans mais 28, c’est déjà trop pour lui) et jolies, voire très jolies.
Il souhaite aussi qu’elles soient sexuellement enthousiastes, douées, chaleureuses, douces et affectueuses. Et que ça ne lui coûte pas trop cher.
On a l’impression d’être au supermarché : on prend une pomme sur l’étalage, on la repose pour une autre et finalement on achète du raisin parce qu’il est en promotion.
L’affection qu’il souhaite en plus d’un accès direct à une relation sexuelle (je veux dire sans passer par la case rendez-vous, verre, diner, sortie, etc) est une exigence  très masculine, selon moi. Si je reviens sur mes rencontres en ligne (j’y reviendrai), c’est quelque chose qui m’a été dit plusieurs fois : un homme que vous n’avez jamais vu, ni même parfois entendu, s’étonne que vous ne montriez pas d’emblée enthousiasme, désir, tendresse, etc, pour lui. Quand on lui répond que on ne le connait pas et donc qu’on attend pour s’enthousiasmer, il est surpris, voire offusqué.
Le mot « affection » ne signifie pas la même chose pour un homme (j’ai dû l’écrire déjà à propos de mes rencontres en ligne : les hommes se voient de grands romantiques. Ce qu’ils mettent derrière cet adjectif est une énigme totale) et une femme.
Brown commence par lire des annonces dans la presse écrite et passer des coups de fil.
Ensuite il trouve des sites en ligne (il va dans un cybercafé car il n’a pas d’ordinateur), et même un site où les clients donnent leur avis sur la prestation et la personne. Ce qui lui plait beaucoup. Ca rappelle furieusement les très gros sites de ventes et leurs avis, authentiques ou pas.
Enfin il m’a semblé d’une grande naïveté concernant la prostitution elle-même, présumant que les femmes qu’ils rencontraient n’y avaient pas été forcées, n’avaient pas de souteneurs et étaient libres. Passer par un « secrétariat » qui gère les rv, aller dans des sortes de maisons closes (dans le même registre, on a La maison d’Emma Becker que j’ai lu il y a quelques temps et qui m’a un peu gênée aussi), être rappelé par un homme qui lui demande si la fille lui plait ou qui attend dans la voiture qu’elle sorte, lui parait normal. Que les filles disparaissent du jour au lendemain ne l’inquiète pas plus que ça puisqu’il y en a toujours d’autres, toujours jeunes, toujours (plus ou moins) jolies.
Sans doute a -t-il un peu de mal à envisager les choses au-delà de ses rencontres canadiennes urbaines, somme toute assez normalisées. La prostitution a bien des visages et des modalités. Celles qui travaillent au bord des routes ou dans des bordels pour travailleurs après avoir été déplacées de leur pays par des mafias ne sont pas celles qu’il a croisées.
Brown est un homme qui respecte les femmes qu’il paie et leurs demandes, n’est ni violent, ni pervers. Une relation de couple classique ne lui semble pas un idéal qu’il faudrait atteindre, de ça il est certain. Et quand il rencontre « Denise » avec qui il finit par avoir une relation monogame, il continue à la payer (elle-même ne voyant plus d’autres « clients »).
Les notes sont intéressantes. Brown s’intéresse réellement à la question des rapports entre hommes et femmes et cite longuement L’amour et l’occident de Denis de Rougemont (1939).
Si des lecteurs ou des lectrices ont un avis, je le lirais volontiers.

En attendant, voici celui de la célèbre auteur Pénélope Bagieu.