Je finis sans hâte le dernier livre de Houellebecq, un des auteurs français les plus connus à l’étranger avec Marguerite Duras et Simone de Beauvoir (et qui d’autre?). Plus de 700 pages.
Le dernier livre de notre « grand auteur » que j’ai lu était La carte et le territoire qui m’avait beaucoup plu.
J’avais noté l’habileté de MH à glisser des références discrètes à des gens peu connus aujourd’hui des journalistes mais très connotés à une certaine époque. Références qui n’ont été relevées dans aucun article. C’est assez drôle cette manière qu’il a de distiller les choses uniquement pour qui comprendra.
C’est aussi ce que je ressens en lisant ce livre.
L’histoire n’est pas super intéressante, les personnages non plus – du moins en apparence. C’est en gros l’analyse des Inrockuptibles qui trouve que le livre est « une déception ».
Je n’en attendais pas un bouleversement. En tout cas, pas celui éprouvé à la lecture de l’ Extension du domaine de la lutte.
Son cynisme et son pessimisme sont davantage dissimulés.
Il y a une lecture de surface.
Il y a une lecture secondaire bien plus virulente, bien plus critique, à la fois démoralisante et tonifiante, voire rassurante.
A travers les péripéties de ses personnages, MH évoque les relations de couple qui se font, se défont, détruisent ou permettent de se reconstruire à l’occasion des drames. Les relations de famille, entre frères et soeurs, entre parents et enfants, entre beaux-frères et belles-soeurs, sont évoquées avec finesse. Pas de jugements portés sur les choix de vie des uns ou des autres, on les soutient.
Ces personnes qu’on croise au long de ce récit et qui entourent Paul, le personnage principal, celui qui travaille à Bercy avec le ministre, inspiré, parait-il, du ministre actuel, prennent corps peu à peu et sont finalement tout à fait incarnés. Dans la vie non plus, on ne connait pas vraiment les autres.

La question de la maladie, de la fin de vie, de la dépression font partie intégrante du récit. Pour autant, on sent bien qu’il n’y a pas de solution magique, qu’on reste seul face à l’adversité, malgré les médecins, malgré la famille, décidément omniprésente dans ce livre, bien plus que l’amitié.
Les incursions oniriques  de Paul, qui a des rêves étranges (mais signifiants?) sont insérées dans le récit sans aucune démarcation qui alerte le lecteur et c’est réjouissant. Habileté de l’auteur.

Les indignations successives, les critiques ou les simples remarques de MH sur le monde d’aujourd’hui, des EHPAD à la vie politique, en passant par les « escorts » et les wicca (ces mouvements de néo-sorcellerie)  sont portées par les personnages de telle sorte qu’on les écoute même si certains semblent détachés de ce qui leur arrive, comme soumis à un nihilisme qui les anéantit – précisément, on y arrive : il s’agit bien d’anéantir l’espoir comme le désespoir, au choix.
Au final, on peut dire comme Les Inrocks : « Michel est le plus grand héritier des romantiques. Le plus grand romantique de notre temps. Unique refuge et seule vraie valeur : l’amour, le couple« . Les relations se nouent au hasard de rencontres qui n’ont pas été prévues, recherchées (l’aide-soignante, la consultante politique) et peut-être en raison de cela, se déploient harmonieusement.
Les dernières lignes de la page « Remerciements », alors qu’il vient d’énumérer toutes celles et ceux qui l’ont aidé dans ses recherches,  valent la peine de lire jusqu’au bout :  » Au fond, les écrivains français ne devraient pas hésiter à se documenter davantage : beaucoup de gens aiment leur métier et se réjouissent de l’expliquer aux profanes. Je viens par chance d’aboutir à une conclusion positive : il est temps que je m’arrête ».
A lire. Voire à relire.

 

Michel Houellebecq. Anéantir. Flammarion. 734 pages. 2022