Vertiges est le dernier « roman » de Lionel Duroy. On est obligé de mettre des guillemets à « roman » parce que Duroy, 64 ans, y raconte sa vie. Ce qu’il fait apparemment inlassablement -c’est le premier livre de lui que je lis-, tout au long de ses livres.
C’est à la fois fascinant, comme peuvent l’être certains romans de Christine Angot, et tout aussi égocentrique, narcissique et dépourvu d’humour que les romans de cette dernière.
Ce qui fascine c’est bien évidemment d’entrer dans l’intimité de Duroy qui s’appelle ici « Augustin », de son ex-femme, « Cécile » avec qui il a eu deux enfants et de sa deuxième compagne, mère de ses deux filles, « Esther ». Esther, avocate dans le livre, en réalité la journaliste Blandine Grosjean rencontrée à Libération, dont on peut vérifier sur Internet la joliesse gracieuse, jusque dans ses cheveux ramassés dans un chignon en vrac, beauté charmante et acérée, célébrée par Duroy à longueur de pages.
Parallèlement au récit de sa rencontre et de sa vie avec Esther, Duroy ne cesse de revenir sur son enfance de déclassé, sur sa mère qui n’a pas supporté de quitter les beaux quartiers parisiens pour une banlieue minable et qui en fait porter le poids à son mari et à ses dix enfants. Enfance marginale et houleuse qu’il a déjà racontée dans d’autres livres ce qui lui a valu la haine de ses frères et soeurs.

Lionel Duroy

Bien que j’aie lu ce livre de 468 pages

sans ennui, et même avec un certain entrain, je ne me suis pas sentie à l’aise avec Augustin/Lionel.

En y réfléchissant, c’est la fausseté du narrateur qui me déplait profondément.
Cultivant face aux femmes une passivité apparente – ce sont toujours elles qui le séduisent, l’embrassent ou le déshabillent les premières-, il leur impose en fait son rythme, ses goûts, son mode de vie. L’écriture romanesque qu’il pratique assidument, pour continuer à gratter sans fin les plaies du passé, lui prend son temps, son énergie, son humeur. Ce qui lui reste de forces, il le consacre à retrouver ou reconstituer, la maison de son enfance, à traquer la méchanceté cachée sous le masque aimant de ses compagnes et à coucher avec toutes les femmes qu’il croise ou presque parce que la sexualité est la seule chose qui le fait se sentir vivant…. Ce qui ne l’empêche pas de se percevoir comme généreux, mari et amant dévoué, entré en dévotion même. Mais  l’obsession qu’il a de décortiquer son enfance tout en prétendant y échapper l’envahissant totalement, il ne donne rien ou si peu de lui-même.
Attaché aux signes extérieurs de l’amour, aux mots doux d’Esther, à ses « mon chéri » dont elle émaille chacun de ses textos qu’il recopie dans un carnet, satisfait qu’elle lui passe tous ses caprices, toutes ses lubies, qu’elle ne lui reproche ni ses voyages, ni ses égarements mentaux, Augustin/Lionel n’est jamais capable de vivre le moment présent, oscillant entre son passé maudit et son futur qui le sera forcément. Les femmes qu’il rencontre sont, soit des objets destinés à assouvir un désir sexuel pressant qui ne supporte aucun délai à l’assouvissement, soit des reproductions de sa mère, des viragos en puissance, des gorgones destructrices qui finiront bien par montrer leur vrai visage.

Il m’a fait penser à un homme rencontré il y a plus d’un an, que j’avais à l’époque surnommé pour mes amis l’Homme aux Jaguar (car il collectionnait des voitures anglaises vintages, pas des Jaguar, mais mettons que je protège sa peu intéressante identité). Jagman, de famille très modeste, était nostalgique de ses belles années de « minet du drugstore de Saint-Germain-des-Prés », comme il le disait lui-même. Travaillant depuis son domicile, il avait lui aussi tout le temps de se consacrer à ses obsessions, tourné vers un passé forcément plus beau, plus chic, plus passionnant que le présent. Sportif maniaque, comme Duroy l’est également (musculation pour le premier, vélo pour le romancier), il aurait voulu que je sois un bel ornement qu’il aurait pu exhiber pour mettre un peu de paillettes dans sa vie médiocre, solitaire et aigrie. Comme j’espérais qu’il y avait autre chose en lui que ces radotages amers, je l’ai vu quelques mois sans pour autant que la relation aille plus loin que des diners ou des promenades. Finalement, il a déclenché la rupture par des tombereaux d’insultes ordurières, de menaces et de souhaits de vengeance, totalement disproportionnés à la relation que nous avions, tout à sa déception de ne pas avoir pu me plier à ses seuls désirs.
Duroy qui ne manque pas de souffle pour parler de lui est l’archétype des hommes qui n’ont jamais pu quitter mentalement leur mère ou la représentation qu’ils s’en font, seul point d’ancrage de toute une vie affective ratée. A ce titre, ses écrits sont une présentation sans fards et plutôt intéressante de ce type de personnalité.

De Catherine Millet, 66 ans, de la même génération donc, j’ai essayé de lire Jour de souffrance qui fait, en quelque sorte, suite à La vie sexuelle de Catherine M. . On m’avait offert ce dernier que je n’aurais sans doute pas acheté de moi-même. Lu avec passion par mes amis masculins, ce livre m’a paru plat et naïf, trop écrit et peu convaincant. J’en suis restée à Histoire d’O et à Emmanuelle, ou bien à Anna Rozen (Plaisir d’offrir, joie de recevoir) ou Alina Reyes (Le boucher), voire Françoise Rey.


Jour de souffrance fait part des crises de larmes et de sa jalousie dans sa relation avec le photographe Jacques Henric avec qui elle vit et qui a fait un album des photos de C. Millet nue.  Je lui ai trouvé les mêmes défauts qu’à La vie sexuelle : trop écrit, trop apprêté. J’ai décroché après une vingtaine de pages.
Mieux vaut relire Une vieille maitresse de Barbey d’Aurevilly, paru en 1851.


Vertiges
, Julliard. 2013.
Sont parus avant (liste non exhaustive) : Priez pour nous en 1990 (Bernard Barrault et J’ai Lu), Méfiez-vous des écrivains en 2002, Le Chagrin en 2010, Colères en 2011, L’Hiver des Hommes en 2012, tous chez Julliard.

La Vie sexuelle de Catherine M., Seuil, 2001
Jour de souffrance, Flammarion, 2008