Avant toute chose : Gerontophilia est un film absolument merveilleux!


C’est le premier film de Bruce LaBruce que je vois, mais son 11ème film (au moins).  Canadien de 50 ans, Justin Stewart/Bruce LaBruce représentait pour moi le milieu artistique gay décalé, à l’univers plutôt réservé aux homosexuels mâles. Un de mes vieux amis qui vit et travaille au Maroc depuis 5 ans était de passage à Paris la semaine dernière.  Nous avons passé une soirée chez moi à parler de nos vies, de nos anciens rêves, des reproches que nous nous faisons encore à nous-mêmes, de nos aspirations contradictoires en éclusant champagne et vin blanc sur fond d’endives braisées au vinaigre balsamique et de gâteau au chocolat aux pralines roses. Il feuilletait Pariscope ou l’Officiel des Spectacles pour décider quels films il allait voir pour rattraper son retard. Bien qu’apparemment le Maroc soit le pays du DVD piraté, Y. est comme moi, il préfère les grands écrans aux petits.
Gerontophilia arrive dans la discussion, j’avais envie de le voir après avoir lu de bonnes critiques, on se donne rendez-vous pour le lendemain.
Donc samedi fin de matinée, MK2 Beaubourg, salle 2. Public exclusivement masculin, sauf moi. Des hommes, encore jeunes, en couple. Des hommes, plus du tout jeunes, tout seuls.

Sur un thème a -priori scabreux – un tout jeune homme

découvre qu’il est attiré par des hommes beaucoup plus âgés que lui-, Bruce LaBruce a réussi un film délicat, sensuel, émouvant et très juste psychologiquement.

Le jeune homme, Lake,  le beau Pier-Gabriel Lajoie, Québecois, mannequin et acteur, tout juste 18 ans au moment du tournage (il est né le 30 juillet 1994), a une petite amie, Désirée (Katie Boland) qui fait en permanence la liste des féministes révolutionnaires dignes d’entrer dans son Panthéon personnel et va à des concerts de groupes rocks féminins. Lake vit avec sa mère, Marie (Marie-Hélène Thibault), jolie brune instable, qui vient de trouver un travail dans une maison de retraite et y fait entrer son fils. Lake y rencontre Mr Peabody (rien à voir avec le dessin animé!), Melvin Peabody, joué avec raffinement et dérision par Walter Borden, acteur de théâtre, auteur de pièces et de poêmes. Melvin a 64 ans de plus que Lake. L’histoire, tournée à Montréal et à Niagara Falls se déroule avec une certaine lenteur, qui laisse se déployer une grande délicatesse dans l’évolution de la relation entre les personnages. Le film qui parle d’amour parle tout autant du rejet des gens très vieux, en maison de retraite, du dégoût qu’ils peuvent inspirer aux gens qui doivent les laver, les changer, des médicaments avec lesquels on  les assomme et de leur solitude.

Lake et Melvin

Bruce LaBruce a parfaitement saisi l’allure, le comportement, les expressions, les sentiments possessifs et jaloux des très jeunes hommes, de ceux qui sont beaux mais ne veulent pas être aimés pour leur beauté qu’ils offrent gracieusement à ceux ou celles qui savent les regarder et les apprécier. Ce sont  de jeunes faons, athlétiques et sauvages, renfermés et prêts à se donner.
Au début du film, on voit Lake dans sa chambre, assis sur son lit, sous une immense photo en noir et blanc de Gandhi. Lake, vêtu d’un bonnet, d’une écharpe et de chaussettes, qui dessine sur un grand carnet.


L’essence du film est dans ce genre de plans. C’est drôle, d’une grande poésie, sensuel, ni vulgaire, ni voyeur.

Il y a bien longtemps, en 1971, le film Harold et Maude, que j’ai vu plusieurs fois au cinéma à l’époque, le deuxième film de Hal Ashby, racontait la même histoire entre un très jeune homme, Harold (Bud Cort) et une vieille dame, Maud (Ruth Gordon) sur une bande-son agrémentée par les chansons de Cat Stevens.

Harold et Maude

Entre 1971 et 2014, que s’est-il passé?
Y a t-il eu d’autres films racontant une histoire d’amour romantique, ni sordide, ni violente, entre quelqu’un de 18 ans et quelqu’un de 80? Je ne vois pas..  Vous, lectrices/lecteurs, peut-être?