Je ne suis pas certaine d’avoir lu un seul livre de l’écrivain américain Jim Harrison (1937-2016), peut-être trop « écrivain macho,  romancier et poète régionaliste de seconde zone » selon l’étiquette qui lui a été collée dans son pays, une personnalité à la Hemingway (chasse, pêche, tabac, alcool). Il a d’ailleurs eu plus de succès en France qu’aux Etats-Unis.
 Un sacré gueuleton regroupe des chroniques culinaires écrites au fil des années. Pour Harrison, il ne s’agit pas de tester des restaurants, mais d’explorer le lien vital qu’il entretient avec la nature, la nourriture, le vin et de mettre tout ça dans la même marmite.
Au fil des pages, on est d’abord subjugué, estomaqué par la quantité de plats et de vins que cet homme peut absorber en une seule journée.
Puis revigoré par cette ode à la vie.
Remède à toutes les douleurs et détresse: un grand verre de vin rouge français!
Adjuvant essentiel de tous les plats : de l’ail, en quantité industrielle, et de la sauce piquante. Voire des truffes. En cela (ail et truffes), il rejoint Colette, écrivain mais aussi cuisinière habile de plats qu’on appellerait aujourd’hui de terroir. Colette était d’ailleurs célèbre pour son haleine aillée, ce qui a quelque peu dérangé les chics amis de son mari Henri de Jouvenel.

Il mange bio, de fait, sans donner de leçons : il chasse gibier à plumes (grouses, bécasses) et à poil (antilope, wapiti, orignal ) et  à écailles (poissons de lacs et rivière et serpent). Il essaie tout, même la saucisse de cougar, quitte à déclencher de monumentales crises de goutte et fait une grande consommation de cochon et de boeuf grillé. Sa femme cultive un grand potager. Chasse et culture, dans le Michigan, puis le Montana, sont ce qui lui ont permis de vivre les années de vache maigre où il avait à peine de quoi faire vivre sa petite famille (il a eu deux filles).

Image Le Monde
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Le sacré gueuleton tire son nom du  récit épique d’un repas de 37 plats, réalisé en Bourgogne par Marc Meneau, chef de l’Espérance et organisé par Gérard Oberlé. Ce repas, inspiré de 17 livres de cuisine publiés entre 1654 et 1823, dont la composition détaillée se trouve dans le livre. Alors que les 11 convives essayaient de digérer, Harrison remarque : « au salon, mes camarades baillaient au lieu de sangloter ou d’avoir le souffle coupé. Nous venions de commettre un grave péché, celui de la gloutonnerie et personne ne se tordait de culpabilité. Les Français sont beaucoup moins sujets que nous aux maladies de coeur, en partie parce qu’ils semblent indifférents aux angoisses liées au doute ou au remords ».
Pour certains, l’explication de ce dernier point venait de la religion catholique et de son usage de la confession : un catholique se confesse à un prêtre qui l’absout de ses péchés et le remet sur la route vers de nouvelles tentations qui seront bientôt absoutes lors d’une nouvelle confession.
Manger des produits d’excellente qualité a été une des quêtes de Jim Harrison. Ses amis lui envoient des glacières de poissons, de gibier, de fromages et de jambons italiens (vive FEDEX et UPS, écrit-il). Il achète des caisses de vins français coûteux.
Il y a eu certes des moments difficiles mais Harrison ne renonce jamais à cette maxime : « Je me nourris bien pour éviter le suicide ».

Image The New Yorker
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Le dernier chapitre, « Vie quotidienne : la question du zen », est étonnant et émouvant. Une brève incursion dans la notion du soi.
« Pour moi, accepter le fait que ma vie était tous les jours ce qu’elle était et rien de plus, a été ce qu’il y avait de plus dur à avaler. Cela semblait nier toute notion de grandeur indispensable pour trouver un quelconque intérêt à mon existence ».
La suite est à lire dans ce merveilleux livre que je recommande à qui aime manger et boire de « vraies » choses (pas de la nourriture toute prête, pas de la nourriture vendue dans des chaines et pas des produits sans graisse, sans sucre, sans gluten). Ce livre m’a évoqué mes jeunes années dans des restaurants gastronomiques de province qui étaient encore abordables, avec mon compagnon de l’époque. Et les plats qu’affectionnait mon père, élevé en grande partie à la campagne. Et ceux que j’ai moi-même mangé et mange encore à l’occasion, pas forcément raffinés mais tellement goûteux.

« Un sacré gueuleton » ne propose pas de remède à la vie et à ses errements, mais de quoi l’agrémenter.