Il m’aura fallu du temps pour me décider à aller voir Les Misérables de Ladj Ly, issu du collectif Kourtrajmé (court-métrage en verlan).
J’en suis sortie abasourdie.
La puissance de la mise en scène, des dialogues, du jeu des acteurs…

photo voixdunord.fr
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Un peu – mais en fait ça n’a rien à voir-, comme dans le film de Guy Ritchie, c’est un film de mecs, d’hommes et de garçons.
Peu de filles, à part cette scène où apparait ce posse de 3 copines qui menace Buzz, le garçon qui utilise son drône pour filmer les filles de la cité à leur fenêtre. Et quelques mères de famille ainsi que des jeunes filles qui attendent le bus (la scène de la bande-annonce).

photo euronews.com
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Un film de mecs donc, mais pas seulement.
Un film de bandes, de groupes, de clans. Les flics de la BAC, les trafiquants, les « Frères Mus » (surnommés BAC, pour brigade anti-came), les gamins, les Gitans (qui donnent lieu à des scènes impayables), les truands qui se sont convertis…. Le tout dans une cité paumée et dégradée de la banlieue parisienne.
Personne n’est jamais seul. Tous se déplacent en groupe, au minimum par deux ou trois. D’ailleurs il vaut mieux.

La violence est présente, éclate souvent mais (presque) tout se règle à la palabre, à la tchatche, à la négociation, aux menaces, aux promesses, tout à la fois.
Tout le monde a intérêt au statu-quo.
Les flics sont les représentants de l’ordre officiel. D’autres lois, d’autres clans font régner l’ordre, pour protéger leurs trafics ou par conviction religieuse, avec lesquels il faut constamment composer.

Un nouveau, Ruiz (Damien Bonnard), arrive à la BAC (Brigade anti-criminalité) de Montfermeil, en Seine-Saint-Denis (le film a essentiellement été tourné à la cité du Chêne-Pointu à Clichy-sous-Bois). Aussitôt affublé du surnom Pento, il est affecté aux patrouilles de jour avec deux « vétérans », issus de la cité, qui tournent ensemble depuis 10 ans. Chris le survolté(incroyable Alexis Manenti, du collectif Kourtjamé, co-scénariste avec Giordano Gederlini et Ladj Ly) et Gwada (Djebril Zonga, footballeur, puis mannequin, aujourd’hui acteur), le faux calme.
Buzz (joué par le fils de Ladj Ly) fait tourner son drône.
La cité filmée du ciel révèle l’accumulation des immeubles, les tas d’ordures partout, l’espace étriqué entre les barres.

La BAC gére les conflits de tous genres, petits ou grands, les stands sur les marchés,  les arrangements de « Monsieur Lemaire » quand il lui incombe de régler la disparition de Johnny, volé dans un cirque, avant que le face à face des Gitans survoltés et des habitants de la cité ne tourne à la bataille rangée.
Johnny est retrouvé mais il y a un tir de flashball. Issa, le jeune voleur,  est blessé au visage. Le drône de Buzz a filmé la scène.
Pas d’hôpital. Chris gère l’affaire avec les Gitans (scène mémorable dans la cage aux lions), un des dealers et le patron très religieux d’un kebab. Palabres et cris de nouveau. Pento fait montre de diplomatie et d’un certain savoir-faire dans les négociations, croit-il.
La journée se termine.
Les trois flics passent chez eux : l’un vit chez sa mère, l’autre avec une femme d’une autre couleur que la sienne et le troisième est encore dans les cartons.
Un beau coucher de soleil. On pense que le film va se terminer là, sur une touche optimiste en somme, et même un peu moralisatrice, Pento faisant la leçon à son collègue qui a tiré.
On attend le générique.
Mais l’histoire reprend. On est le jour d’après.
Et on entre en enfer.
Issa au visage déformé par l’impact du flashball a monté son gang. Il a eu peur, mal, il a été  humilié, et il veut se venger. D’un seul coup, il est devenu le symbole de la vengeance, des habitants contre les flics, des jeunes contre les adultes.
Les trois flics sont acculés dans une cage d’escalier. Visés par des projectiles de toute sorte et finalement par un cocktail molotov.
Face à face, Issa et sa bombe, Pento et son arme à feu.

Le film se termine sans conclure.
Y aura-t-il ou pas un mort?
Et qui? On ne le sait pas.

La vraie conclusion est claire : tout le monde est prisonnier de cet univers refermé sur lui-même et qui n’offre aucun espoir.
Les jeunes se dressent contre les plus vieux qui se sont rangés à leur manière.
Les dialogues sont extraordinaires, écrits avec précision mais sonnant juste.
Les scènes sont drôles et effrayantes. Spectaculaires par leur montage et leur enchainement (on n’est pas dans Fast ‘n Furious).
On retient son souffle la plupart du temps. Quand la lumière se rallume, on est sonné.
La brutalité n’est jamais gratuite.
Le discours est équilibré. Aucun manichéisme.
Les acteurs sont extraordinaires.
Un vrai chef d’oeuvre et c’est un premier film.
Prix du jury au festival de Cannes

Voir aussi les magnifiques photos de Camille Millerand, « les oubliés du Chêne pointu« .
Un article du Monde explique pourquoi Clichy suus Bois a été un échec urbanistique total.