L’Allemagne et ses prisons
Barbara, film de Christian Petzold
Quatre minutes, film de Chris Kraus

Le cinéma allemand, du moins les quelques films qui arrivent en France, est obsédé par la perte de liberté et la trahison.
Dans « l’amour et rien d’autre » dont on a déjà parlé ici, la recherche obsessionnelle par Martha d’un objet amoureux identique au précédent interdit la découverte d’un autre homme qui serait différent du mari qui a trahi la confiance que Martha avait mise en lui, d’abord par une vie de mensonge, puis par un suicide en pays étranger. Martha reste  enfermée dans un schéma de répétition. Sa chance, le « happy end » (die Glückliche Ende) du film, est de trouver, comme pour un puzzle, la pièce -l’homme- qui s’emboite dans ce schéma. Le film aurait pu s’appeler « Martha« , tout tourne autour d’elle. Aucune scène n’existe sans elle et les autres personnages ne sont vus que parce qu’elle les regarde.

« Barbara » de Christian Petzold est le prénom d’une femme médecin chassée de Berlin et littéralement déportée en province parce qu’elle a demandé à quitter le pays.
On est en RDA à l’époque du mur, de l’électricité défaillante, des contrôles policiers incessants, des voisins délateurs et des hôpitaux somme toute très corrects. Toute sortie légale du pays est sinon impossible,  du moins très difficile (les sportifs, les hommes politiques, certains artistes et écrivains y arrivaient à condition de laisser en otage leur famille). Barbara est aimée de Jorg qui vit à l’Ouest et dont le travail lui permet de venir la voir régulièrement. Jorg lui offre de l’amour et lui laisse de l’argent, des cigarettes, le maquillage dont elle se pare les yeux et des faux papiers pour une évasion programmée par bateau. L’un et l’autre sont beaux, d’une beauté semblable, ils vont bien ensemble.

Mais …

….Barbara décide de passer son tour et de faire évader une jeune fille à sa place, sacrifiant ainsi le rêve de liberté dont elle parle tout au long du film. On imagine bien que Jorg aura du mal à admettre que sa chérie, belle femme blonde et distante, ait refusé de s’évader, refusant par là-même de le rejoindre, méprisant tous les efforts qu’il a faits et lui expédiant en échange une fille fruste et enceinte.

Quand le film s’achève, il n’est pas certain que Barbara fera une autre tentative. Pourquoi préférer une prison à la liberté? Pas par réelle compassion pour la jeune évadée du camp de redressement. Pas davantage en raison de l’attirance qu’elle ressent pour André, le médecin-chef de l’hôpital, sorte de nounours intimidé par sa blondeur glaciale.
Pour elle-même avant tout. Au moment où Jorg, l’amant de l’Ouest, lui dit qu’elle n’aura plus à travailler car il gagne assez pour deux, le déclic se fait en elle. A l’Est, elle est un médecin utile à la société et aux malades. A l’Ouest, elle sera juste une femme entretenue comme la jeune prostituée qui espère elle aussi gagner son ticket de départ…. Sous le voile de la compassion, Barbara dissimule à Jorg à la fois sa trahison -elle tombe amoureuse d’André-, son ambition et sa soif d’exister par elle-même.

Pour conclure ce mini panorama de l’Allemagne et de ses prisons, « Quatre minutes« de Chris Kraus sorti en 2006 est un film qui alllie froideur et passion.

Une jeune détenue pour meurtre est préparée au concours de piano du Conservatoire par une vieille femme dure et solitaire qui a renoncé à vivre ses penchants pour les femmes. Accusé de recourir à une dramatisation trop binaire, le film a été assez mal reçu en France mais si on aime le cinéma allemand, trop rarement présenté chez nous, ses actrices au physique puissant, son réalisme sans concession, il est à (re)voir.