Dans Dernier amour, Vincent Lindon se met dans la peau de Casanova, aventurier et écrivain italien né à Venise, célèbre pour ses nombreuses conquêtes, racontées dans ses Mémoires (Histoire de ma vie), écrites en français.
Le film de Benoit Jacquot choisit un épisode douloureux de la vie de Casanova : un séjour forcé à Londres (l’homme a beaucoup fui les prisons et les dettes) où il fait la connaissance d’une jeune fille de 17 ans, la Charpillon, jeune femme vivant de ses charmes, sous la houlette féroce de sa propre mère.
C’était vers la fin de septembre 1763 que je fis la connaissance de la Charpillon, et c’est de ce jour que j’ai commencé à mourir.

 

image lesinrocks
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Casanova a 38 ans à l’époque, beaucoup moins que Lindon, proche des 60.

Il décrit la Charpillon, comme il l’appelle, comme une de ces beautés auxquelles il est difficile de découvrir le moindre défaut physique. Sa physionomie douce et ouverte avait l’expression de la candeur et semblait annoncer cette délicatesse de sentiment et cette sensibilité exquise qui sont toujours des armes irrésistibles dans le beau sexe. Dans ces points seulement, la nature s’était plu à mentir sur sa figure.
Casanova se pense surpris par l’attrait puissant de la nouveauté  et par l’espoir que le désenchantement ne tarderait pas à venir. « Je cesserai de la trouver merveilleuse, me dis-je, dès que je l’aurai possédée, et cela ne saurait tarder. » Il ajoute : Sans me flatter de vouloir lui plaire, j’avais de l’or et je n’étais pas avare : je pouvais donc supposer qu’elle ne résisterait pas.
Jamais il ne pourra arriver à ses fins.

Charpillon était drôle et intelligente, et déterminée à lui soutirer le plus d’argent possible, sous des prétextes variés (sa tante essaie de créer un élixir de longue vie pour lequel il lui faut une certaine somme, que bien évidemment on lui remboursera). Il est probable que cette jeune femme, prostituée très tôt, a pris une revanche.
Pour autant, Casanova ne semble pas avoir été dupe de ses efforts à « séduire » cette fille, qui, de notoriété publique, vivait du commerce de son corps. : Cette lutte m’humiliait, et pourtant je me sentais vivement attiré par la beauté de cette fille quand tout le reste en elle me rebutait.
Le premier soir où il la met enfin dans son lit, elle est tellement entortillée dans sa chemise de nuit qu’il n’arrive à rien et se retient tout juste de l’étrangler après l’avoir griffée et battue. Un autre soir, elle prétend être indisposée et refuse catégoriquement tout rapport. Il est furieux et dépité. Je reconnus que j’étais dupe, sot et vil à mes propres yeux, et d’autant plus que je m’étais avili pour une abominable prostituée. Quand, enfin, il a l’a sous la main et qu’elle est consentante, une sorte d’orgueil mal placé l’empêche d’assouvir sa passion et son désir.


Le film retrace longuement et avec une langueur certaine cet entichement stérile.

Le récit qu’en fait Jacquot est bien moins palpitant que le texte original de Casanova, qu’on lit à la fois avec délectation et une certaine incrédulité. Comment cet homme qui a connu tant de succès féminins peut-il ainsi se laisser promener?
L’âme masculine est faite de détours romanesques et romantiques qui parfois la perdent (j’ai connu des exemples assez proches de cette histoire). Casanova a effectivement voulu se jeter dans la Tamise, les poches pleines de billes de plomb pour mieux couler, avant d’être rattrapé par un de ses amis….

image wikipedia
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Si Lindon n’a ni l’âge, ni le physique de Casanova – qui mesurait près de 1,90 m et que le Prince de Ligne décrit ainsi: « Ce serait un bien bel homme s’il n’était pas laid ; il est grand, bâti en Hercule, mais a un teint africain ; des yeux vifs, pleins d’esprit à la vérité, mais qui annoncent toujours la susceptibilité, l’inquiétude ou la rancune, lui donnent un peu l’air féroce, plus facile à être mis en colère qu’en gaieté. Il rit peu, mais il fait rire. »- , il joue excellemment, de même que Stacy Martin et les autres acteurs comme Valeria Golino, Nathan Willcocks, Anna Cottis…
Hélas Benoit Jacquot n’a pas su insuffler dans son film la passion amoureuse, la rage, la crédulité et l’espoir qui courent dans le texte du Vénitien (on trouve facilement le pdf en ligne).
Peut-être a-t-il trop mis de lui-même, lui qui a 72 ans, dans cette histoire crépusculaire…

Pierre Louÿs s’est inspiré de ce passage pour La femme et le pantin (1898), comme Fellini pour son Casanova (1976).

Pour ce qui est de Vincent Lindon, si vous ne l’avez pas vu, procurez-vous L’Apparition, remarquable film de Xavier Giannoli, sorti l’année dernière. C’est une véritable enquête policière sur fond d’apparition mariale (la Vierge Marie serait apparue dans un petit village des Alpes). Lindon y est mélancolique, dépressif et obstiné. Sublime.