Ce roman était sur une des tables de ma bibliothèque de quartier et ne me tentait pas pour différentes raisons : le titre est assez idiot, l’histoire paraissait plate, les éditions Sonatine publient généralement des thrillers très grand public et il était gros (600 pages). Les gros livres ne me font pas peur, au contraire, encore faut-il que l’histoire en vaille la peine.
Puis j’ai lu le billet de Dasola et le « pourquoi pas? » est arrivé jusqu’à moi.
Dasola a raison, le livre se lit vite mais, pour autant, n’est pas superficiel.
A 62 ans, Duane Moore  dirige au Texas une petite entreprise pétrolière. Un soir, il gare son pick-up sous son auvent, contemple l’amas d’objets hétéroclites qui s’y trouvent et décide de ne plus jamais remonter dans sa voiture. A la place, il marchera.
Ainsi commence la première partie « Le marcheur et sa famille ».
Aux Etats-Unis, en particulier au Texas, marcher est une aberration. Karla, sa femme depuis plus de quarante ans, ne le comprend pas, pas plus que ses enfants, tous plus ou moins irresponsables. Duane tient bon, quitte son foyer et se réfugie à quelques kilomètres de chez lui dans une cabane, installée sur une petite colline, « dans un endroit sombre et infesté de serpents à sonnettes ».
Le bruit de cette excentricité
se répand très vite dans la petite ville de Thalia (Thalia existe vraiment mais ne compte que 104 habitants et serait plutôt un hameau. Mc Murtry se serait plutôt inspiré de la petite ville d’Archer (Archer City, également au Texas). Karla pense qu’il est déprimé, d’autres qu’il veut divorcer, personne ne le comprend vraiment.
Après un certain nombre de péripéties, on arrive à la deuxième partie « Le marcheur et son médecin », car il va consulter une psychiatre, Honor Carmichael, dont le père, Jody, tient une épicerie-bazar sur une route agricole. Duane se rend donc, à pied,  à la ville de Wichita Falls (10 000 habitants environ), distante de 30 kms. Dès les premières séances, Duane est totalement bouleversé. Honor Carmichael lui conseille de lire Marcel Proust, ce qui nous mène à la 3ème partie « Le marcheur et Marcel Proust ». Le livre s’achève peu après que Duane a fini de lire Proust, ce qui lui a pris un an.
Mc Murtry dépeint l’entourage de Duane comme un univers peuplé de personnages un peu décalés et autocentrés, comme peuvent l’être les gens qui sont très peu sortis de chez eux.
Surtout il saisit le moment où un homme choisit de faire des choix radicalement différents de sa routine, et doit vivre cette transition malgré son entourage, malgré ses peurs et ses doutes. Pour quelqu’un qui, comme moi, a aussi décidé de changer des choses dans sa vie (et déménager après 30 ans passés au même endroit alors que rien ne m’y oblige, c’est un évènement en soi), la décision de Duane de marcher au lieu d’utiliser sa voiture, de vivre dans quelques mètres carrés rustiques au lieu de sa grande maison et de laisser ses enfants se prendre en charge au lieu de les protéger de leurs addictions, est décrite de façon profondément humaine et pourtant sans effet, ni mélodrame.
Les choix de Duane ont des effets sur son entourage comme sur lui-même. Mc Murtry ne porte pas de jugement rigide sur les uns et les autres.
C’est un livre vraiment intéressant pour qui se pose des questions sur sa vie.

Mc Murtry est lui-même un personnage intéressant. Né à Archer en 1936, il a écrit une quantité considérable de romans (32) et d’essais historiques (14) ainsi que des scénarios pour la télévision et le cinéma, dont le plus célèbre est Brockeback Mountain, d’après la nouvelle d’Annie Proulx, film dirigé par Ang Lee avec Heath Ledger, Jake Gyllenhaal, Anne Hathaway, Michelle Williams.
Passionné de livres, Mc Murtry  a ouvert diverses librairies d’occasion, Booked Up, à Houston, puis à Georgetown près de Washington et enfin dans sa ville natale d’Archer,  qui avait en stock 500 000 livres. En 2012, il a vendu la plus grande partie de son stock, ne gardant qu’un seul magasin ouvert.

Larry Mc Murtry en 2000 dans sa libraire.

Editions Sonatine 2014. Traduit de l’américain, Duane’s depressed, 1999, par Sophie Aslanides.