En lisant Une petite femme de Jean-Marc Roberts (Grasset 1998), décédé l’an dernier d’un cancer, on comprend mieux cet homme, romancier et éditeur, son allure « cool » et même le ton général de son dernier texte, un peu désinvolte, un peu fataliste.  Tout vient de son enfance. Une enfance particulière, avec une mère peu présente, égocentrique, envahissante. Une mère qui aurait préféré « un compagnon de jeu », « un confident » à un jeune fils, longtemps présenté comme son petit frère sur le conseil de Bruno Coquatrix, le patron de l’Olympia. Son père américain, Edwin Roberts, a disparu tôt de sa vie, il est resté avec sa mère italienne, Ada Lonati, de son nom d’artiste comique dans les cabarets, qu’il appelait Peggy et pas Maman.
Elle ne pouvait pas être sa mère, ça l’aurait vieillie. « Le gros », « Marco », comme elle l’appelait, n’a longtemps pas vraiment existé. Ensuite, en grandissant, il est devenu le compagnon et le confident souhaité par sa mère. Ce qui n’a pas empêché Jean-Marc Roberts d’accumuler les conquêtes féminines, les femmes avec qui il vivait, les mères (dont la réalisatrice Laetitia Masson) de ses trois ou cinq (les chiffres varient selon les articles de presse!) enfants, ses blondes conquêtes mariées. Accumuler les relations sentimentales mais pas les possessions matérielles. Avant de mourir, alors qu’il vivait seul, il disait

ne rien posséder, n’avoir rien gardé de ses différentes vies, ni meubles, ni souvenirs.

«Je n’ai jamais réussi le bonheur. Je ne sais pas ce que c’est. Je suis un éternel insatisfait. J’ai aimé des femmes que je n’ai pas su épanouir. Je ne crois qu’aux instants fugaces de bonheur, aux petits tours de magie, mais la durée du couple, je ne connais pas. Sans doute parce que je n’ai pas eu de modèle et qu’on ne m’a pas appris ça.  » disait-il en interview. Dans tout ce désordre, Roberts contrôle « J’ai appris à ranger mes affaires, à tout classer méthodiquement : les amis, les amours, les souvenirs, les papiers. Je contrôle tout. Tant mieux si j’y crois assez, tant pis si c’est illusoire. Pour l’instant, je me domine». Typique des enfants dotés de parents immatures et narcissiques, tout sauf rassurants…

Il a sûrement cultivé des relations ambigûes comme en témoigne cette photo prise au Jardin d’Acclimatation où on reconnait François-Marie Banier, le photographe à scandale, sur lequel il a écrit un livre-plaidoyer (François-Marie, Gallimard, 2011), Pascal Greggory, Jacques Grange, le décorateur, à côté de Bettina la femme de Roberts et Roberts lui-même tout au fond, comme en retrait. Toujours le contrôle, voir plus qu’être vu.

Pourtant il a toujours voulu être aimé de tous, les femmes, ses auteurs, ses enfants. Comme il l’écrit dans « Une petite femme », d’un appartement où il tarde à « trouver ses marques » : « je voudrais déjà vivre ici depuis quinze ou vingt ans, avoir abonné tout l’immeuble au câble, que les voisins me confient leur chat, leur chien, leurs plaintes ». Lui que sa mère n’écoutait pas puisqu’il devait être consacré à elle. Quand il ne vivait plus avec elle, il lui téléphonait tous les jours. Sinon, elle appelait et appelait sans trève pour dire du mal de toutes celles qui lui avaient pris des rôles, de tous ceux qui n’avaient pas voulu l’embaucher.
Pour autant, il ne se laisse jamais aller, ne s’épanche pas, raconte sans expliquer, ni sans ajouter de pathos. Il préfère qu’on l’appelle. « Trop, tout le temps. J’ai créé ce besoin-là aussi. Que les gens passent par moi. Qu’ils n’hésitant pas. S’ils ne le font pas, je les relance. C’est ma façon d’effacer ce mauvais temps où personne ne voulait de nous ».

Jean-Marc Roberts doit être (re)lu. Il vaut mieux que l’image d’auteur mineur qu’il a laissée.